En inscrivant le chef-d’œuvre d’Alban Berg dans cette saison capitoline, Christophe Ghristi n’affiche rien moins que l’une des œuvres phare et un pivot essentiel de l’histoire de l’art lyrique. Et dans une nouvelle production qui devrait recueillir tous les suffrages.
Moins connu que des compositeurs comme Verdi ou Wagner, Puccini ou Massenet, consacrons un peu de notre temps à sa découverte.
Alban Berg en deux mots…
Difficile d’être plus viennois que ce fils d’une famille riche et cultivée qui voit le jour à Vienne en 1885, une ville où il décèdera 50 ans après.
Bien avant sa scolarité, le jeune Alban développe grâce à ses parents des dons précoces pour la musique. Très vite il compose des lieder. A 19 ans le voici titulaire de son abitur, équivalent du bac en France. De suite après il entre dans la Fonction publique. Nous sommes en 1904 et c’est le moment que choisit son frère Charley pour montrer quelques-unes des compositions d’Alban à rien moins qu’Arnold Schoenberg, un musicien viennois également, de 11 ans l’aîné d’Alban. Schoenberg voit de suite les perspectives que renferment ces compositions et décide de prendre en main la formation de ce jeune fonctionnaire. Il sera son maître pendant six ans. Mais Schoenberg a un autre élève, viennois lui aussi, du même âge que Berg, à deux ans près, il s’agit d’Anton Webern, un musicien qui eût une forte influence sur Alban Berg. Sans être les seuls, ces trois compositeurs forment ce que l’on appelle la seconde Ecole de Vienne, la première étant formée d’Haydn, Mozart et Beethoven, cette école qui va révolutionner la musique du 20è siècle. Alban Berg a tout juste 21 ans lorsqu’il touche un héritage confortable. Du coup il peut abandonner la fonction publique et se tourner entièrement vers la musique. Il compose peu, mais régulièrement, toujours des œuvres vocales mais aussi de la musique de chambre. Il fait la connaissance des époux Mahler et se lie d’une profonde amitié avec Alma Mahler. A tel point qu’à la disparition de la fille d’Alma Mahler, Manon Gropius, à l’âge de 19 ans en 1935, il composera un concerto pour violon à sa mémoire qui passera dans l’histoire comme le Concerto à la mémoire d’un ange. Mais avant cet événement tragique, Alban Berg fera la guerre de 14/18 …depuis le Ministère des armées à Vienne. Dès la fin du conflit, le musicien renoue avec sa passion pour la musique, donne des cours, organise des concerts, compose aussi bien sûr mais toujours aussi lentement, ce qui fait qu’en fin de compte, il ne laissera pas un corpus impressionnant quantitativement. Mais un projet trotte dans sa tête, ce projet s’appelle Wozzeck. En effet, Berg a vu la pièce de Georg Buchner en 1914 et depuis il n’a qu’une envie, la mettre en musique. En 1921, le brouillon de la partition est achevé, un an après l’orchestration est terminée et un an après à nouveau, nous sommes en 1923, grâce à l’aide financière d’Alma, Berg fait éditer la partition chant piano. La création de l’œuvre a lieu, sous la direction d’Erich Kleiber à la Staatsoper de Berlin en 1925. Malgré des réactions presse et public de toutes sortes, le succès est mondial. C’est à partir de cette époque que Berg commence à utiliser dans sa palette sonore non plus la gamme classique mais celle des 12 sons, le dodécaphonisme. Il commence à travailler sur son second opéra, Lulu, nous sommes au début des années 30. Le national-socialisme et ses contraintes touchent l’Autriche et ses artistes. Les œuvres de Berg ne sont plus jouées. Schoenberg est quasiment contraint à l’exil en 1933, se trouvant parmi ce que le régime nazi appelait les compositeurs dégénérés. Le départ de son mentor pour les USA va profondément affecter Berg qui travaille d’arrachepied à Lulu, un opéra dont il ne verra pas la fin puisqu’il meurt avant d’avoir composé le dernier acte en 1935, vraisemblablement d’une septicémie. Un peu comme pour la Turandot de Puccini, le dernier acte sera achevé par un autre compositeur, viennois bien sûr, Friedrich Cerha, qui a aujourd’hui 95 ans, et l’opéra entier sera créé au Palais Garnier en 1979 sous la direction de Pierre Boulez dans une mise en scène de Patrice Chéreau.
Entre le dodécaphonisme et la musique sérielle, il est clair que cette seconde école de Vienne a profondément marqué toute la musique.
Wozzeck
La pièce que voit Berg en 1914 est la dernière du dramaturge allemand Georg Buchner mort en 1837 du typhus à l’âge de 23 ans. Evidemment, son corpus est mince mais une autre de ses pièces est très connue, c’est La Mort de Danton. En tout état de cause encore une fois nous sommes face à une œuvre qui n’a pas été finie, du coup chaque metteurs en scène, cinéastes inclus (Werner Herzog avec Klaus Kinski en 1979) la met un peu à son goût… Alban Berg a fait de même, écrivant lui-même le livret à sa manière. En gros l’histoire est inspirée d’un fait réel survenu en 1821.
Vocalité
Tout d’abord dire que le dodécaphonisme n’apparait que brièvement dans cet opéra qui s’inspire autant de Wagner que de Puccini, de Debussy que de Richard Strauss. S’il y a une nouveauté, c’est bien dans l’emploi de ce que l’on appelle le sprechgesang, c’est-à-dire les parties parlées mais dont la hauteur des tons est parfois indiquée dans la partition. Après il faut bien reconnaître que Berg n’économise pas ses chanteurs et que ceux-ci sont souvent hors de leur zone de confort vocal, les tessitures dépassant souvent les deux octaves. Ce qui entraîne souvent l’utilisation de la voix de fausset ou de poitrine pour atteindre les notes
Alors justement à propos des profils vocaux, Berg emploie plusieurs types de déclamation et de chant, du parler ordinaire sans hauteur et sans rythme, le chant pur avec colorature, le chant populaire, le parler rythmé avec hauteur : le sprechstimme, etc.
L’œuvre au Capitole
C’est en novembre 1973 que le chef-d’œuvre d’Alban Berg est donné pour la première fois au Théâtre du Capitole dans une coproduction avec le Grand Théâtre de Bordeaux…en français. Il faudra attendre 1995 pour que l’ouvrage soit affiché en langue originale, dans une production de l’Opéra de Nice mise en scène par Pierre Médecin avec un duo terrifiant composé de Ricardo Cassinelli (Le Capitaine) et Walter Berry (Le Docteur). A cette occasion et sous la baguette de James Johnson, le baryton toulousain Jean-Philippe Lafont s’emparait du rôle-titre.
Wozzeck vs 2021
C’est dans le cadre d’une nouvelle production que Christophe Ghristi affiche de nouveau cet ouvrage au fronton du Capitole. Il en a confié la production à Michel Fau, la direction musicale à Léo Hussain et a réuni des stars internationales pour quatre prises de rôle. Et non des moindres : Stéphane Degout pour son premier Wozzeck, Sophie Koch (Marie), Nikolaï Schukoff (Le Tambour-Major) et de Falk Struckmann (Le Docteur), complétant ce casting : Thomas Bettinger dans le rôle formidablement émouvant d’Andres et l’immense Wolfgang Ablinger-Sperrhacke dans celui du peu reluisant Capitaine.
Un spectacle qui s’impose d’ores et déjà dans votre calendrier !
Théâtre du Capitole
du 19 au 25 novembre 2021
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