Yann Quero n’hésite pas une seconde pour qualifier Hugo van der Goes de Mozart de la peinture dès les premières lignes de son avant-propos. Il nous met ainsi de la plus « violente » des manières face à un personnage inconnu du grand public et même certainement de fins connaisseurs de l’art pictural européen. Pour cela, et très adroitement, Yan Quero va conjuguer la vie, autant personnelle qu’artistique, d’Hugo van der Goes, avec son temps. Et plus particulièrement les heurs et malheurs du combat acharné qui oppose en ce milieu du XVème siècle le Royaume de France sous le règne de Louis XI et le Duc de Bourgogne dont les terres immenses occupaient non seulement la Bourgogne actuelle mais également tout le nord de l’Europe.
Jalonnant avec subtilité le parcours personnel du jeune peintre Hugo van der Goes avec la grande histoire de cette Europe en cours de construction via des combats sanglants et des mariages de raison, le romancier nous fait pénétrer dans un univers singulier, celui de cette ville de Gand et de ses guildes, notamment celle des peintres dont le Saint Patron n’est autre que Luc, l’Evangéliste. Nous suivons Hugo, depuis son enfance misérable jusqu’à son ascension au Doyenné de cette guilde. Un cheminement au travers duquel son talent va être dépassé par son génie.
Au fur et à mesure des commandes qui affluent, de plus en plus prestigieuses, dans l’atelier du peintre, l‘auteur nous fait toucher du doigt la réflexion originale d’Hugo. Ce primitif flamand va, petit à petit, imposer dans ses toiles un élément nouveau : le mouvement. Se libérant de la codification des thèmes religieux, il va les transcender en donnant à ses personnages des visages non plus contemplatifs mais humains avec tout ce que cela entraîne en terme d’émotion. C’est lui qui a inventé le clair-obscur dont nous savons aujourd’hui combien des peintres tels que Le Caravage ont fait leur profit, initiant en cela une peinture plus romantique et démonstrative. L’auteur de ce passionnant roman l’avoue, nous ne savons pas grand-chose de cet homme mais assez cependant pour que, aidé par une licence romanesque indispensable à la conduite du récit, ce livre nous le fasse revivre avec une maximum d’authenticité.
Fortement documenté, enrichi de quelques tableaux, hélas en noir et blanc (allez sur internet les voir en couleurs, cela vaut le détour croyez-moi), ce singulier ouvrage nous fait également croiser les grands de ce monde d’alors. Nous les avons déjà cités, Louis XI et son cousin Charles le Téméraire, mais aussi Marie de Bourgogne, Maximilien d’Autriche, Laurent de Médicis, le voïvode Dracula et même le sultan Mehmed II. L’œuvre d’Hugo van der Goes n’est pas connue car éparpillée dans le monde entier. Qui plus est parfois recluse chez des collectionneurs privés… La majeure partie de sa production a été détruite au XVIe siècle aux Pays Bas. Il en reste donc très peu de visible mais suffisamment pour que le génie novateur de ce Gandois mort en 1482 à l’âge de 42 ans nous éblouisse et nous démontre son rôle charnière dans l’histoire de la peinture.
Un livre passionnant !
« Hugo van der Goes – Le grand primitif flamand » – Editions Jourdan