Revue choisie des Carmes à St Etienne
Nombre d’artistes talentueux ont fait leurs débuts à Toulouse dans des galeries méconnues, avant d’être démasqués par la scène internationale. A l’heure où les grands festivals et autre foires d’art contemporain se disputent aux manifestations photographiques et plus conceptuelles, il est parfois difficile pour un artiste de se démarquer. Quelques galeries toulousaines ont fait le choix d’exposer des plasticiens, dessinateurs, illustrateurs longtemps restés dans l’ombre. Rencontre avec trois galeries et galeristes insolites.
Rendez-vous pris Place du Salin, quartier historique de Toulouse, à la galerie 21, dans une petite impasse qui jouxte le Temple du Salin. Invisible de la rue du Languedoc, cette galerie n’est autre que la troisième ouverte en dix ans avec Balma et Pibrac par deux amoureux des beaux-arts, le couple Amigo-Soulet. Un bel hommage rendu aux oeuvres sur papier notamment, à travers les dessins du plasticien et graveur de formation Jacques Placès ou du graveur gersois Claude Barrère.
Aux côtés d’artistes reconnus figurent des artistes émergents et des oeuvres plus figuratives, à l’image des croquis de l’illustratrice Anne Jamati qui dévoilent les chemins traversés dans sa vie de jardinière paysagiste.
Ainsi, les gravures, encres et fusain côtoient gouaches, pointes sèches, dessins à la craie et autres pastels. Dans cet écrin de briques rouges, Sylvie Amigo-Soulet met en lumière un éventail d’artistes régionaux et internationaux comme le photojournaliste malgache Pierrot Men, récemment nommé Commandeur de l’ordre des Arts et des lettres ou la peintre parisienne d’origine arménienne Saré, visible jusqu’au 26 septembre.
Arrivée à Paris en 1991, Evgenia Sarkisian alias Saré crée des personnages tour à tour grotesques ou burlesques. Ses créatures étrangement gracieuses par la finesse de leur trait caricaturent des tranches de vie, des attitudes qui tantôt nous surprennent tantôt nous émeuvent.
Jamais à court d’actualités et d’événements, la galerie 21 mettra à l’honneur la performeuse et plasticienne protéiforme Priscille Déborah en novembre prochain. Triple amputée depuis l’âge de 31 ans, Priscille Déborah a fait de son handicap une force : « Mes personnages apparaissent, étranges et familiers, mi-mangas, mi-aborigènes, se rassemblent de façon festive, dansent et honorent la vie. Ma peinture est une invitation au voyage pour tous ceux qui n’osent pas. » S’inspirant des expressionnistes contemporains comme Lydie Arickx ou Solly Cissé, le travail de cette artiste hors norme est un hymne à la vie et reflète un humanisme qui incarne en filigrane, la direction artistique de la galerie 21.
Galerie Octobre quartier Saint-Etienne
A l’encablure de la rue de Metz, celle du Rempart St Etienne est souvent arpentée pour ses ventes aux enchères. Elle recèle une petite galerie à l’approche artistique pointue, où dialoguent le mobilier design et les arts visuels. Ainsi régulièrement, la galerie Octobre expose des peintres soigneusement sélectionnés par Sophie Salles-Cazeaux, ancienne collaboratrice de la galerie Thaddaeus Ropac. Dirigée par Didier Bonnal-Ruan pour la partie mobilier des années 1950 à 70 et Sophie Salles-Cazeaux côté oeuvres contemporaines, la Galerie Octobre a déjà organisé de nombreuses expositions depuis son ouverture en 2017 : Pierre Preneron , Félicie Vignat, ou actuellement Catherine Branger s’inscrivent dans un univers abstrait et géométrique, d’autres adoptent un ton plus pop comme Isabelle de Séréville, Cécile Récapé , ou font appel à l’expressionisme urbain inspirant et inspiré chez Antoine Gamard.
Diplômée de l’Ecole Supérieure des Beaux-Arts de Paris en section Dessin, la plasticienne Catherine Branger vit et expose à Toulouse depuis le début des années 1990, où elle présente ses premières oeuvres à la galerie Françoise Courtiade. Son travail artistique se nourrit de dessins et peintures mais aussi des rencontres qu’elle affectionne auprès de publics empêchés, desquels un échange inspirant se crée. Catherine Branger utilise aujourd’hui l’image numérique dans ses oeuvres. Marquée par l’usage régulier d’un logiciel de dessin et de retouche photo sur ordinateur, son approche s’échappe de l’image numérique pour mettre l’accent sur la dimension physique de la peinture et sur « l’objet tableau » :
« Je ne pose pas mon affect et mon ressenti sur mon travail, précise-t-elle, car l’émotionnel vient de l’oeuvre, pas de l’artiste. Lorsque je travaille seule dans mon atelier, c’est un plaisir personnel et vital, c’est un moment où je me reconnecte avec moi-même. Quand je trace mes lignes et mes couleurs, je plonge dans mon univers. Lorsque je travaille avec des publics empêchés, j’ai le sentiment d’être utile et ces deux facettes se complètent, m’aident à trouver l’équilibre, j’aime dicerner les deux ». Sophie Salles-Cazeaux a très tôt été séduite par le travail de Catherine Branger que l’on a pu voir au CIAM ( Centre d’Initiatives Artistiques du Mirail) et à Lieu Commun. « Passé 35 ans, rajoute la plasticienne, un artiste n’intéresse plus grand monde. Je suis heureuse de pouvoir exposer auprès de personnes qui comprennent mon parcours et avec lesquels je travaille en confiance.»
Artiste complète, intervenante en Arts plastiques auprès de l’Association des Paralysés de France, en partenariat avec le Musée des Abattoirs et la DRAC, également enseignante à l’école d’Architecture de Toulouse, Catherine Branger nous fait partager son oeuvre à la galerie Octobre jusqu’à la mi-Novembre.
Galerie Bouquières quartier des Carmes
Façade galerie Bouquières avec Olivier Gal devant les oeuvres de Margaux Othats à gauche et d’Antoine Maillard à droite
En approchant de la Place des Carmes, son marché couvert, ses cafés du matin, voici que la rue Bouquières nous rappelle le charme de ce quartier emblématique de la Ville rose, presque une ruelle, où de nombreux artistes et créateurs se retrouvent.
Et récemment pendant 3 semaines à la Galerie Bouquières, le temps d’une exposition éphémère, des illustrateurs toulousains peu connus des néophytes ont ici célébrés leur nouvelle notoriété. Antoine Maillard, Simon Lamouret ou Audrey Spiry mais encore Jérôme Souillot, SOIA, ou Margaux Othats, sont à la fois illustrateurs, auteurs, bédéistes et ravissent le regard par leur technicité et leur univers identifiables, déjà remarqués par la critique.
Fondateur de la boutique en ligne les-multiples.fr, spécialisée dans l’édition d’images sur papier en série limitée, Olivier Gal, ancien co-responsable de la galerie GHP à Toulouse a quitté le street art pour les oeuvres illustrées avec un plaisir assumé. En découvrant les carnets de voyages de Simon Lamouret à Bengalore, les univers énigmatiques, presque lynchiens chez Antoine Maillard à San Francisco, les paysages fantasmagoriques de Paul Burckel, ces illustrations méritent bien leur appellation de 9ème art.
Outre l’émergence d’une nouvelle scène artistique issue des arts graphiques, il est intéressant de noter l’évolution des techniques utilisées, par le choix de gouaches, dessins et peintures numériques tirées avec des encres pigmentaires dont le rendu est très proche de l’oeuvre originale. Pour ceux qui aurait manqué leur passage et leurs dédicaces à la galerie Bouquières, les artistes proposés par Multiples seront présents au Festival de la BD de Colomiers les 19, 20 et 21 novembre prochains.
Qu’il est bon de revoir physiquement ces oeuvres. Car après une longue observation, elles finissent toujours par nous conquérir. Et plus le temps passe à nous en imprégner, plus notre plaisir est grand.
Galerie 21
3, Impasse de la Trésorerie – Toulouse
Galerie Octobre
6 Rue du Rempart Saint-Etienne – Toulouse
Festival de BD Colomiers : du 19 au 21 novembre 2021