Entre fidélités et découvertes, la saison toulousaine du Théâtre Sorano expliquée par son directeur, le metteur en scène Sébastien Bournac.
Directeur du Théâtre Sorano à Toulouse, Sébastien Bournac décrit la saison qu’il a élaborée «comme une fête promise, un voyage à partager, une utopie à réaliser au fil des jours et des mois. Dans la droite ligne de l’esprit qui souffle sur notre théâtre depuis cinq années, elle sera d’une intensité inégalée, riche pour moitié de reports que nous avons organisés par solidarité avec les artistes que nous accompagnons, et pour l’autre de passionnantes créations à découvrir.»
Comme l’explique le metteur en scène, «la saison du Sorano est un mélange de fidélité, d’histoires écrites avec des artistes comme Baptiste Amann ou Olivier Martin-Salvan, et en même temps des découvertes. C’est un mélange de connu et d’inconnu, c’est une aventure avec des repères mais aussi des artistes jamais venus à Toulouse que nous avons envie de faire connaître au public. Tel est l’endroit où nous nous situons. Il y a des grands noms qui structurent la saison, comme Pippo Delbono (photo) que nous avons la chance d’accueillir ou Brigitte Jaques-Wajeman avec « Phèdre », et il y a des propositions plus iconoclastes pour exciter la curiosité du spectateur.»
Sébastien Bournac poursuit : «Le projet du Sorano, qui travaille aujourd’hui beaucoup avec les jeunes artistes, est aussi sensible à la transmission, c’est-à-dire à l’héritage. On construit une programmation par rapport à un lieu: ce lieu a une histoire, celle d’un ancien Centre dramatique national. Nous avons donc à cœur d’inviter des artistes reconnus du public tout en faisant partager des découvertes. Diriger un théâtre c’est faire en sorte que chaque spectacle soit un événement, c’est proposer aux spectateurs des expériences qui frappent les esprits au point qu’ils s’en souviennent, proposer de l’inattendu, de la surprise, c’est créer des moments de complicité et de partage autour des grandes œuvres du répertoire mais aussi des diverses formes du spectacle vivant d’aujourd’hui.»
Sébastien Bournac précise que «la question de l’utopie, de l’imaginaire traverse toute la saison. C’est un fil rouge parce que le théâtre est là pour questionner ce qui nous entoure et essayer d’imaginer autrement le monde et notre rapport au réel, construire une alternative. Il y a quelque chose de l’utopie qui se joue ici, cet endroit où on peut, au moins symboliquement, réinventer un monde, comme dans « Banquet Capital » de Sylvain Creuzevault» que nous invitons avec le Théâtre Garonne dans un lieu surprenant qui sera dévoilé plus tard…».
L’événement automnal de cette saison est comme chaque année la nouvelle édition de Supernova, festival dédié à la jeune création: «Le volume de Supernova va croissant chaque année, avec de plus en plus de théâtres partenaires qui nous accompagnent. Je crois que l’espace de ces trois semaines de novembre est aujourd’hui bien identifié à l’échelle de la métropole toulousaine. Le public est de plus en plus présent avec un taux de remplissage oscillant entre 80 et 90% : un succès pour cette prise de risque. Il est passionnant de découvrir ou redécouvrir les formes du spectacle vivant à travers le regard que porte la nouvelle génération sur le monde. C’est un tremplin: dès le départ, je me suis donné pour règle que les artistes ne pourraient être invités qu’une seule fois dans le festival. S’ils reviennent au Sorano, ils glissent dans le reste de la saison», assure le maître des lieux. Cette année, douze spectacles sont à l’affiche, où il sera notamment question de l’autisme, d’un poète disparu et du monde paysan d’aujourd’hui, on y croisera les braqueurs du Gang des Postiches, cinq cowboys, des strip-teaseuses, les résidents d’une maison de retraite, etc.
Sébastien Bournac montrera « Peut-être pas », «cabaret existentiel» mis en musique par Pascal Sangla: «C’est une création qui n’est pas collective mais qui se nourrit des énergies de toute une équipe, à commencer par celle du musicien Pascal Sangla, qui est mon complice dans la conception de ce spectacle. C’est une écriture construite dans un va-et-vient entre le plateau et les échanges avec l’équipe. C’est nouveau dans mon parcours, parce que j’ai l’habitude de monter des œuvres ou de passer commande à des auteurs. L’équipe est constituée de fidèles acteurs avec lesquels j’ai déjà travaillé parce que j’ai eu envie de faire une synthèse de l’histoire de ma compagnie Tabula Rasa. Le titre a été choisi juste avant cette période, mais il est vrai que tout ce que nous avons traversé depuis mars 2020 a été propice à une réflexion sur cette création», constate Sébastien Bournac.
Selon le metteur en scène, «« Peut-être pas » est une forme joyeuse, l’histoire d’un spectacle qui s’effondre en cours de route et celle de tout ce qui peut naître de cet effondrement, avec beaucoup de surprises en termes de théâtralité. Le spectacle fonctionne par tableaux, il est assez foutraque dans sa construction, donc il ne ressemble à rien de ce que j’ai fait. J’avais envie d’être plus proche de moi et de mes obsessions, d’être davantage l’auteur de la représentation que je ne l’étais jusqu’à présent, de m’amuser et de magnifier la cage de scène du Sorano – puisque je ne m’interdis rien pour ce qui est de l’utilisation de la machinerie du théâtre. J’ai envie de faire du spectacle, du “show” !».
«La figure de Don Quichotte est très présente dans ce spectacle qui travaille également mon désir de mettre en scène « Hamlet ». « Hamlet » m’accompagne depuis très longtemps, c’est la pièce des pièces. La figure de ce personnage est passionnante, elle convient à notre époque puisque la pièce se situe à un moment d’effondrement du royaume : le vieux roi a été assassiné et le nouveau roi est là. On est dans une période de transition qui est aussi celle du passage du Moyen-Âge à l’âge moderne. Il y a quelque chose qui s’invente dans ce temps-là, et Hamlet est témoin des mutations d’un monde et de l’effondrement de valeurs. « Peut-être pas » joue aussi sur l’imaginaire de la collapsologie : le mythe de la fin d’un monde est très présent en ces temps d’épidémie», prévient le metteur en scène.
Sébastien Bournac rappelle que «les Grecs et William Shakespeare ont écrit que les orages, les catastrophes climatiques et les pandémies sont des signaux annonçant un cataclysme à l’échelle planétaire tout autant qu’à l’échelle de nos sociétés. Comment fait-on pour vivre et croire que le bonheur est encore possible dans ce climat d’apocalypse ? Ces questions traversent ce cabaret existentiel qui interroge le sens de nos vies, dans une forme qui je l’espère surprendra et réjouira le public… Mais « Peut-être pas » n’est pas juste l’idée que les choses ne pourraient pas avoir lieu. C’est aussi une formule de résistance polie, un peu à la Bartleby: “Je préfèrerais ne pas”. C’est vraiment à cet endroit là que doit s’ancrer le travail des artistes aujourd’hui: résister.»
Au cours de cette nouvelle saison, après s’être intéressé à Michel Foucault et à la Factory d’Andy Warhol, Pierre Maillet reviendra avec « Théorème(s) », d’après la pièce de Pier Paolo Pasolini, et Johanny Bert se glissera dans la peau de « HEN », une créature qui dévoile ses identités multiples dans un récit musical inspiré des cabarets berlinois des années 1930 et de la scène performative queer actuelle. Spectacle sur l’adolescence écrit par Marion Siéfert et retransmis en direct sur Instagram, « _jeanne_dark_ » est un solo interprété par Helena de Laurens qui ouvrira la saison. Parmi les événements attendus, Brigitte Jaques-Wajeman présentera sa mise en scène de « Phèdre », de Racine, avec de jeunes comédiens, l’auteur et metteur en scène Baptiste Amann achèvera sa trilogie « Des Territoires », et l’Italien Pippo Delbono revient avec sa troupe dans « la Gioia » (photo), hommage à son inoubliable interprète Bobò.
Jérôme Gac
pour le mensuel Intramuros
du Mardi 14 septembre 2021 au Jeudi 09 Juin 2022