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Orphée aux enfers • Opéra national du Capitole

by Bruno del Puerto

Orphée aux enfers, le rire en musique d’Offenbach

Mis à part Olivier Py, à qui pourrait-on donc confier la nouvelle production de cette immense bouffonnerie que constitue ce chef-d’œuvre d’opéra-féerie de Jacques Offenbach dont la nouvelle version en quatre actes et douze tableaux, définitive, fut représentée pour la première fois le 7 février 1874 dans son nouveau Théâtre de la Gaîté, sur le livret signé d’Hector Crémieux (avec en sous-main Ludovic Halévy) ?

Orphée Aux Enfers
Affiche de J. Cheret pour l’Orphée aux enfers de 1874

Sept représentations ne suffiront pas pour satisfaire la demande à partir du vendredi 24 janvier au Théâtre du Capitole jusqu’au dimanche 2 février. Toutes les forces vives de la maison Capitole sont sollicitées et à l’ouvrage, des musiciens de l’Orchestre du Capitole, au Chœur et Maîtrise de l’Opéra national du Capitole et leur Chef du chœur Gabriel Bourgoin en passant par le Ballet de l’Opéra national du Capitole, les chorégraphies étant signées Ivo Bauchiero, sans oublier les enfants du projet DEMOS. Pour diriger plateau et fosse, le “Mozart des Champs-Élysées“ aurait été fort aise d’avoir une chef à la baguette ici, Chloé Dufresne, jeune assistante en son temps de Gustavo Dudamel, passionnée de transmission, de partage et de pédagogie. 

Quant à Olivier Py, il est avec sa garde rapprochée habituelle à savoir Pierre-André Weitz aux décors et costumes et Bertrand Killy aux Lumières. Et n’omettons bien sûr, techniciens et membres des Ateliers.

Offenbach
Jacques Offenbach – cimetière de Montmartre Paris

« Ce concerto, c’est adorable, c’est délectable, c’est ravissant, c’est entraînant » nous dit Orphée ; « c’est déplorable, c’est effrayant, c’est assommant, c’est irritant. » lui rétorque Eurydice. Inimitié totale entre les deux époux. Non seulement cette haine est à la base de l’intrigue, mais surtout elle correspond au ressort majeur de la parodie, ce renversement de la signification classique que le musicien maîtrise avec un art consommé, cette véritable catharsis pour rire, et qui châtie par le rire.

La distribution est à un niveau “annapurnéen“. Il nous tarde de retrouver aux Enfers, dans le boudoir (!) de Pluton (notre inoubliable Platée, Mathias Vidal) Eurydice (la Folie dans Platée !!! Marie Perbost) qui s’ennuie d’être laissée seule : elle va finir par regretter son mari, Orphée (par Cyrille Dubois, dernièrement Idamante ici même). Surviendra le domestique que Pluton a accordé à la garde d’Eurydice (le domestyx John Styx, Rodolphe Briand, en langage courant, un branquignol, !). Mathias Vidal sera aussi le berger et fabricant de miel Aristée.  

L’ouverture de l’acte II ne sera pas triste où nous serons sur l’Olympe avec, revenant de voyage, Vénus (Marie-Laure Garnier, trépidante Junon dans Platée), Cupidon, devenu le conseiller ès ruses (Julie Goussot) et Mars (Kamil Ben Hsain Lachiri). Après le chœur du sommeil ponctué de ronflements, ce sera le divertissement des songes et des heures, hilarant, tandis que la cinquième heure prendra l’aspect d’une fanfare annonçant l’aurore. « C’est Diane, ma fille chérie (Anaïs Constans!) qui sonne sa sonnerie. » constate Jupiter (Napoléon III) en s’éveillant (Marc Scoffoni). Un Jupiter qui va rendre sa Junon jalouse (Céline Laborie, ex-Papagena dans la récente Flûte enchantée) accusé d’avoir enlevé Eurydice. Mercure (chanté par Enguerrand De Hys-voir Parsifal, Voyage d’automne, rôles bien moins gais !) ira aux nouvelles.

Tandis qu’Adriana Bignani Lesca est L’Opinion publique devant laquelle tous les dieux doivent faire taire leurs dissensions intestines. Lucile Verbizier sera Minerve.  

Olivier Py © Carole Bellaiche
Olivier Py © Carole Bellaiche

Depuis 1820 environ, il existait disaient certains, une sous-culture musicale correspondant à un type de musique dont le seul but était le divertissement, comme la danse, et qui n’avait pas de prétentions symphoniques. Paris et Vienne étaient les centres nerveux de ce mouvement. Vienne avait vu fleurir la valse, indissociable des noms comme Josef Lanner et la famille Strauss. Paris était le berceau de ce qu’on allait appeler l’opérette. Le roi de ce genre fut sans conteste Jakob Offenbach qui, converti au catholicisme, pour son mariage, devint Jacques (1819-1880). De Pascal et Chambord, (1839) son premier ouvrage à l’ultime La Belle-Lurette (1880), il écrivit plus de 600 œuvres dont 101 classées théâtrales s’inscrivant dans des genres très différents : vaudeville, opéra comique, opérette, saynète lyrique. Dans les théâtres, on meuble les ouvertures, les entr’actes, les scènes si nécessaires avec des musiques, souvent improvisées ….

Tout en composant sans relâche, payant comptant en idées et en flux mélodique intarissable, le jeune Offenbach continue à faire le siège des théâtres car notre musicien veut composer d’accord mais aussi être joué. Pièces impitoyablement refusées, luttes stériles mais, la foi est tenace en sa propre destinée. Enfin, il décide qu’il vaut mieux être son propre commanditaire. Comment ? Cela démarre avec sa première adresse : le petit théâtre-plutôt une cabane- du Square Lacaze au Carré Marigny sur les Champs ! Qu’il transforme de fond en comble. De salle de prestidigitateur, elle devient les Bouffes Parisiens. C’est un début avec trois piécettes dont il a écrit la musique. Dont un Prologue intitulé ENTREZ MESSIEURS ET MESDAMES de Ludovic Halévy. Sachons qu’alors, les théâtres privés ne peuvent monter des pièces de plus d’un acte et pas plus de 3 personnages. Et environ trente minutes.

Mais il faudra aller jusqu’à son projet d’Orphée aux enfers pour qu’il décroche une faveur (le duc de Morny demi-frère de Napoléon III qui adore l’opéra-bouffe l’aidera beaucoup !) et donc qu’il monte un ouvrage écrit sur deux actes et huit personnages. Un exploit. C’est après cet Orphée aux enfers que, finalement cette restriction va devenir obsolète, passer à la trappe et libérer notre Jacques Offenbach et d’autres. Consacré définitivement à Paris, ayant permis au compositeur d’éponger ses dettes, d’avoir fait pas mal de réserves, Orphée va petit à petit entreprendre son tour d’Europe. Et ce furent des raz-de-marée qui déferlèrent sur le continent.

Orphée Aux Enfers
Maquette pour Orphée aux enfers © Pierre André Weitz

Globalement, d’Offenbach, on loue ses qualités pour repérer les interprètes, avec leurs qualités et leurs défauts, voix et physique !! sa puissance inouïe de travail, le choix de ses amicaux et subtils paroliers, son sens physique, dynamique de la scène, et ce génie créateur, tout de concision et d’opportunisme, inépuisables en idées. Proche en cela d’un Mozart qu’il adorait, il est un adepte de ce qu’il appelait les bedite goupure pour faire mieux avancer l’action et ne pas nuire à l’ambiance ! Il eut Nietzsche pour grand admirateur, et Berlioz comme pourfendeur !  

Sans entrer ici dans le synopsis, révision si nécessaire de la mythologique gréco-romaine, ni dans tous les ressorts conduisant au rire-roi, vous repèrerez dès l’Ouverture les deux “flashes au magnésium“ qui signalent le cancan de l’acte IV, gloire mondiale  d’Offenbach, dans le Galop infernal, ces huit mesures dont la formidable puissance énergétique défie l’analyse et terminons avec : « Ne vous semble-t-il pas, aux premiers sons de cet orchestre enragé, voir toute une société se soulevant d’un bond et se ruant à la danse ?Elle réveillerait des morts, cette musique…Au premier coup d’archet qui mettait en branle les dieux de l’Olympe et de l’Enfer, il semblait que la foule fut secouée d’un grand choc et que le siècle tout entier, gouvernements, institutions, mœurs et lois, tournât dans une prodigieuse et universelle sarabande. »

Opéra De Lausanne
Orphée aux enfers – Opéra de Lausanne © Jean-Guy Python

Un peu mais sans trop d’une biographie affolante : Jakob Offenbach, né à Cologne (Prusse) en 1819,  prendra le nom d’Offenbach du nom de la ville natale de son père Isaac : Offenbach-sur-le-Main. Très tôt, ses grandes aptitudes en musique sont repérées par son père qui n’hésite pas à faire un voyage jusqu’à Paris avec Jakob en sa treizième année chaperonné alors par son frère aîné de cinq ans, Julius, le papa étant obligé de revenir à Cologne, car sans emploi, et huit autres enfants qui attendent. Très malin, débrouillard en diable, talentueux, le gamin, muni de son violoncelle gagne-pain subvient aux besoins de son frère et de lui-même grâce à son instrument, jouant et se jouant dès que nécessaire et se retrouvant même, violoncelliste dans l’Orchestre de l’Opéra-Comique où très vite, il s’ennuie. Ses talents lui permettent même de subjuguer le “patron “ du Conservatoire, Luigi Cherubini, institution qu’il intègre alors que, et qu’il déserte aussi au bout…d’un mois.

Offenbach
Offenbach en 1850 par Laemlein

Il a seize ans et est connu rapidement alors des salons du tout-Paris, tout en baragouinant un français très approximatif. Il est engagé sur deux ans dans l’orchestre du Théâtre Royal de l’Opéra-Comique puis il passe cinq ans comme directeur de la musique et chef d’orchestre à la Comédie française. N’oublions pas qu’en son temps, à Paris, les théâtres plus ou moins populaires font florès et demandent des musiciens car lors d’une représentation, on ne joue pas que la pièce.

Ainsi, côtoie-t-il Marivaux, Beaumarchais, Musset, Molière et sera-ce peut-être ce dernier qui lui fera sentir le besoin de cultiver le rire musical et de laisser parler cette verve qu’il possède démesurée. Aussi dans les maisons bourgeoises et hôtels particuliers pour tel ou tel événement. Il va devenir petit à petit le plus Parisien des boulevardiers. Il fut admis à jouir des droits du citoyen français par décret impérial le 14 janvier 1860. Autre anecdote : la 228è et dernière le 27 avril 1860, c’est l’empereur qui la réserve et la “transporte“ au Théâtre des Italiens pour ses invités.

Michel Grialou

Opéra national du Capitole

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