C’est bien au Théâtre du Capitole que sera donné en création mondiale, l’opéra Voyage d’automne du compositeur Bruno Mantovani. Quatre représentations à partir du 22 novembre 2024. Une commande de l’Opéra national du Capitole de Toulouse placé sous la direction artistique de Christophe Ghristi.
Ainsi, l’Opéra national du Capitole répond à sa double mission : de répertoire et de création, les deux se nourrissant l’une l’autre, l’ouverture de saison se faisant si brillamment avec le Nabucco de Verdi puis, qui se présente, cet événementiel Voyage d’automnes’inscrivant dans une saison lyrique où il sera suivi d’Orphée aux enfers d’Offenbach, histoire de détendre un brin l’atmosphère dans les rangs d’un public qui a sa réputation d’exigence depuis des lustres…aux bougies !
L’opéra est en trois actes et douze tableaux, quatre par acte, sur un livret de Dorian Astor. La production est entre les mains de Marie Lambert-le Bihan, metteur en scène, les décors d’Emanuele Sinisi, Ilaria Ariemme pour les costumes et Yaron Abulafia pour les lumières et la vidéo. Pascal Rophé est à la direction musicale des musiciens de l’Orchestre national du Capitole et le Chœur de l’Opéra national du Capitole placé sous l’autorité du Chef de chœur Gabriel Bourgoin.
C’est le troisième opéra de Bruno Mantovani, compositeur contemporain à la création bouillonnante dans plusieurs domaines, après L’Autre côté en 2006 suivi de Akhmatova en 2011, ce dernier avec un livret de Christophe Ghristi. Pour ce troisième, il s’est inspiré d’un ouvrage intitulé Le voyage d’automne de l’historien François Dufay, sous-titré : octobre 1941, des écrivains français en Allemagne. Le livre est paru chez Plon en 2000 puis repris chez Tempus Perrin en 2008. Le récit en question le poursuivait depuis plus de quinze ans et retrace un épisode historique complètement vérifié, avéré soit : la visite orchestrée en grande pompe par la propagande nazie d’écrivains français dans l’Allemagne du Troisième Reich en 1941.
Ils sont cinq écrivains, et non pas écrivaillons, reconnus pour leur style, s’étant compromis avec le régime nazi, par manque de ? puant de vanité, amour, ou désamour de soi ? les dupes d’un voyage fantasmagorique qui vire au cauchemar…Parmi eux, Ramon Fernandez en est une “brillante“ illustration : l’un des plus grands intellectuels de son temps, Prix Femina en 1932, a pu être socialiste à trente et un ans, critique littéraire d’un journal de gauche à trente-huit, compagnon de route des communistes à quarante, fasciste à quarante-trois et collabo à quarante-six…
En principe, on s’intéresse aux conditions de la création artistique dans un contexte politique autoritaire sous contrainte. Voir Chostakovitch pour une parfaite et récente illustration de ce volet.
Ici, c’est tout le contraire. Par cet opéra, Bruno Mantovani veut aborder frontalement la question de la compromission active donc de la Collaboration, avec un C capitale, des intellectuels avec le nazisme, soit, la pire des idéologies, l’inimaginable. Le titre de l’opéra est le même que celui du livre, une façon délibérée, de rendre hommage au travail de l’historien.
Qui dit opéra, dit livret. Il faut donc un librettiste. Et c’est Dorian Astor qui s’est livré à cet énorme travail de “monter“ ce livret en étudiant le caractère et les travers et défauts de chacun de ces abjects personnages. Actuel dramaturge de l’Opéra national du Capitole de Toulouse, et rédacteur en chef du remarquable Vivace ! Dorian Astor est agrégé d’allemand et docteur en philosophie, dramaturge, essayiste, auteur de textes (poèmes, livrets) pour des œuvres lyriques. Il a aussi fait de solides études musicales, chant compris ! Enseigner ne l’a pas convaincu et il s’est donc tourné vers l’écriture, la traduction et l’édition.
C’est un voyage en train donc pour ces obèses de suffisance intellectuelle, faciles à duper par ces officiers de la Propagande-Staffel sévissant à Paris. Ils doivent au retour assurer la propagande d’une Allemagne irradiante de beauté, découverte en passant par Heidelberg, Munich, Weimar, Berlin, un véritable circuit touristique s’appuyant sur des hauts-lieux de la culture allemande. Au bilan, presque une scène sur deux se passe dans ce train de nuit qui les conduit d’une ville à l’autre. L’ignominie d’une scène terrifiante a pu être glissée qui décrit l’inavouable : comment, tel un saurien attirant sa proie dans les profondeurs, ce convoi conduit certains vers d’insondables ténèbres définitives.
Bruno Mantovani est aussi dans le train et le suit musicalement, : « avec un certain nombre d’allusions dans la partition : par exemple on retrouve un choral de Luther, la Loreleide Heine, des chants traditionnels, mais aussi des chants nazis, très transformés naturellement. La poésie allemande, la langue allemande sont très présentes – avec en filigrane, cette question : comment l’Allemagne de Goethe est-elle devenue l’Allemagne de Goebbels » Dorian Astor-revuecommune
Les participants à ce voyage de la compromission sont, entre autres, les cinq écrivains très caractérisés constituant un huis clos exclusivement masculin :
Pierre-Yves Pruvot, baryton, en Marcel Jouhandeau (il fut Klingsor dans Parsifal puis Barnaba dans La Gioconda ici même, et Kurwenal dans Tristan et Isolde).
Yann Beuron, ténor, Pierre Drieu la Rochelle
Jean-Christophe Lanièce, baryton, sera Robert Brasillach
Vincent Le Texier, baryton-basse, pour Jacques Chardonne
Emiliano Gonzalez Toro, ténor, est Ramon Fernandez
Ils sont rejoints par :
Stefan Genz, baryton, sera Gerhard Heller, officier allemand, directeur de la Propagande-Staffel à Paris. On n’oublie pas que la guerre de 40-45 est aussi celle des propagandes. Le Voyage en fait partie. On pense à la liste des quarante-six consignes journalières allemandes à faire respecte
William Shelton, contre-ténor, interprète Wolfgang Göbst qui n’est ni plus ni moins que le méphistophélique Goebbels. « Göbst est un mot-valise, une contraction de Goebbels et de Johst. Hanns Johst était le président de la Chambre de la littérature du Reich » – Dorian Astor
Enguerrand De Hys, ténor, sera Hans Baumann, soldat et poète allemand,
Et enfin un rôle féminin avec la Songeuse confiée à Gabrielle Philiponet
C’est le compositeur qui a fixé la tessiture pour chaque personnage et Christophe Ghristi qui a décidé de tel ou tel interprète pour chaque rôle, en tenant compte de la caractérisation physique et musicale.
Quant au chœur, comme dans certaines pièces de théâtre où les choristes peuvent représenter la foule, ils sont ici “les masses embrigadées“.
Seul point lumineux dans cet océan de noirceurs qui s’entrechoquent ballotées par les rugissants, une invention pour respirer : la Songeuse. Dorian Astor nous dit : « Elle est la seule femme, la seule juive, la seule poétesse, la seule innocente qui ait une voix dans l’ouvrage. Sur un sublime poème de Gertrud Kolmar, assassinée à Auschwitz, le chant de la Songeuse est hymne et élégie, prière et vision. {…} elle élève la voix de la vie, comme un faible mais éternel scintillement dans la nuit et le brouillard de ce voyage d’automne. » – Vivace !
Opéra national du Capitole
du 22 novembre au jeudi 28 novembre 2024
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