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Ouvrir les yeux • Collections photographiques des Abattoirs et de la Galerie du Château d’Eau

by Bruno del Puerto

Photographie : un excitant voyage dans les collections du Château d’Eau et des Abattoirs

Pour la première fois, la galerie du Château d’Eau et le musée des Abattoirs, à Toulouse, unissent leurs collections photographiques pour une exposition de 250 œuvres, jusqu’en mai 2025. Superbe manière de raconter un art longtemps méprisé par les institutions.

A quelques exceptions près, la photographie a rarement été mise en valeur aux Abattoirs. Tout juste a-t-elle servi, parfois, à illustrer de façon marginale le parcours d’artistes fêtés par le musée. Les choses ont un peu changé avec l’intégration du fonds Daniel Cordier, déposé par le centre Pompidou, et riche d’images de grande qualité. Il était donc logique de réunir enfin ce que possèdent les Abattoirs et le Château d’Eau. 9 ans après l’exposition « Etonnantes affinités » aux Jacobins, la galerie municipale actuellement en travaux pour rénovation, bénéficie d’un nouveau lieu prestigieux, dont la succession de salles au rez-de-chaussée est idéale pour un accrochage spacieux et lumineux.

Ouka Lele
« Peluqueria », de Ouka Leele, 1979. Collection Les Abattoirs. Copyright Galerie Rocio Santa Cruz, Barcelone.

« Ouvrir les yeux » montre 250 photographies au fil de thèmes comme « Sublimer le hasard », « Réalités parallèles », « Sur le vif », « L’art et la matière » ou « La fabrique du soi »…  Ce cadre assez large permet à Lauriane Gricourt, directrice des Abattoirs, et Christian Caujolle, conseiller artistique du Château d’Eau, de laisser libre cours à leurs désirs et à leur imaginaire et de titiller de la même manière ceux des visiteurs. L’inconvénient – mais en est-ce vraiment un ? – est de disperser les œuvres de plusieurs photographes comme Bernard Plossu, William Klein, Mario Giacomelli ou Ralph Gibson aux quatre coins du musée.

Pour bien « Ouvrir les yeux » du public, les commissaires de l’exposition frappent d’emblée très fort, occupant une partie de l’espace central avec des « Corps photographiques » qui happent le regard. C’est ainsi qu’on découvre « David », un nu masculin quasiment grandeur nature signé Miguel Angel Rojas (2015). Sur le sol, une mention fait sourire : « Merci de ne pas toucher ». En face, le sulfureux Robert Mapplethorpe saisit, de dos, un homme accroupi, fesses et pénis bien visibles (1980). Tout aussi frappant est le portrait de groupe réunissant essentiellement des garçons, nus, allongés dans des cartons. L’image, présentée en très grand format, est signée Will McBride, chantre de la libération sexuelle (1968). Lui répond, comme un clin d’œil, sa presque copie, en couleur, réalisée bien plus tard par deux artistes chinois, Zhen et Qiang Gao.

« Ouvrir les yeux » n’hésite donc pas à provoquer les visiteurs les plus timorés.  Mais l’exposition constitue aussi un voyage vif et ludique dans une histoire qui est tout sauf monocorde et monochrome. On est heureux d’y retrouver des œuvres de Bernard Faucon (les couleurs d’une « Chambre qui brûle », 1981) ; Arthur Tress (le gamin mystérieux de « Flood dreams, Ocean City », 1971) ;  Mimmo Jodice (le regard lumineux de l’« Athlète de la villa Papyrus », 1986) ;  Jurgen Nefzger (« Fluffy Clouds » et ses golfeurs anglais proches d’une centrale nucléaire, 2005) ;  Claude Batho (une « Eponge neuve » toute simple sur le bord d’une baignoire, 1986) ;  Denis Darzacq qui donne de l’air à ses modèles (« Hyper n°20 » en 2008) ou encore Gabriele Basilico (un « Beyrouth » de 2003, tristement d’actualité).

Les maîtres sont bien présents aux Abattoirs avec Brassaï et ses « Graffitis » des années 50 ; William Klein et son jeune new-yorkais brandissant une arme à la même époque ;  Kishin Shinoyama avec un nu somptueux en 1969 ; Robert Doisneau et une « Mademoiselle Anita » charmante à la table d’un café en 1951 ; Ralph Gibson, « Somnambulist » magique de la décennie 70 ou Mario Giacomelli et son garçon déambulant au milieu de vieux villageois tout de noir vêtus en 1957.

Atelier Robert Doisneau Mademoiselle Anita, Octobre 1951
« Mademoiselle Anita », de Robert Doisneau, 1951. Collection Le Château d’Eau. Copyright Atelier Doisneau

Une poignée de Toulousains s’est glissée dans la sélection : Jean Dieuzaide, bien sûr, qui fonda le Château d’Eau en 1974, dont on revoit le portrait d’un Vincent Auriol bondissant en 1954 et dont on découvre de joyeux  « Pigeons dans le jardin » en 1979. Et puis Françoise Nunez, élève de ce dernier, dont l’évocation de l’Inde, en 1994, fait toujours rêver, ainsi que Philippe-Gérard Dupuy, Gaël Bonnefon, Jean-Marc Bustamante et Dominique Roux.

Ce panorama à 360° d’un art est excitant et jubilatoire. Plusieurs visites des Abattoirs seront nécessaires pour en explorer toutes les pistes et les plaisirs.

« Ouvrir les yeux », jusqu’au 18 mai 2025 au musée des Abattoirs (76, allée Charles-de-Fitte), Toulouse

Jean-Marc Le Scouarnec

Les Abattoirs   •   Galerie Le Château d’Eau

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