Le 45è Festival de Piano aux Jacobins ne faillit pas depuis son premier récital donné le jeudi 5 septembre. Il vous attend sur dix-sept dates jusqu’au lundi 30 pour se clore avec Béatrice Rana.
Mais si vous êtes grand amateur de Frédéric Chopin, « LE très grand pianiste » écrira Samson François, et plus particulièrement de sa Sonate n°3 op. 58, vous pourrez comparer deux exécutions, l’une le mardi 17 par Vadym Kholodenko, l’autre quelques jours plus tard, le jeudi 26 par Isata Kanneh-Mason. Les deux nous offrent des programmes impressionnants, la Sonate en constituant la conclusion. Le premier, ukrainien, nourri de la grande tradition russe, vainqueur d’un des concours parmi les plus prestigieux, le Van Cliburn en 2013, Vadym Kholodenko fascine par la richesse et la force d’un imaginaire qui renouvelle l’approche des opus les plus célèbres tout en proposant des pages plus rares en concert de Byrd ou Saariaho. Il est présent ici pour la troisième fois.
Pour Isata, c’est une première. Elle vient avec un programme dense très diversifié dans lequel on remarque des pages de Clara Schumann et Sofia Goubaïdoulina, mais encore de Nielsen ou de Joseph Haydn. Anecdotique mais toutefois, assez remarquable, la famille Kanneh-Mason est originaire de Nottingham et doit sa réputation au violoncelliste prodige Sheku Kanneh-Mason (né en 1999), distingué par un début de carrière prometteur, couronné par l’insigne de membre de l’Ordre de l’Empire britannique. La famille comprend six autres solistes formés au conservatoire ou à l’Académie royale de musique : Isata (piano), Braimah (violon), Mariatu (violoncelle), Konya et Animata (piano et violon), ainsi que Jenneba (violoncelle et piano). Récompensés individuellement lors de concours, les sept musiciens se produisent en 2019 au Royal Variety Show, le spectacle annuel de la famille royale. Fascinant !
Avant de vous dire quelques mots sur cette fameuse Sonate en si mineur n°3, rappelons que le jeudi 12, Arielle Beck vous interprètera les trois Impromptus et la Barcarolle et le lendemain, vendredi 13, Nathanaël Gouin, les Quatre Scherzos.
Revenons à cette Sonate n° 3. Cinq années seulement, 1840 pour l’une et 1845 pour la n°3 séparent la publication de l’opus 35 de celle de l’opus 58, cinq années qui correspondent à l’évolution ultime du style du grand musicien polonais qui aura consacré sa vie au piano (1810-1849). Si l’une est à rapprocher du romantisme fulgurant, tourmenté, à son apogée en cette première moitié du XIXè, la deuxième est déjà plus maîtrisée, se situant dans un climat plus apaisé. Aux orages succède un ciel serein, plus lumineux. Au-delà du romantisme s’établit comme un climat plus classique mais toujours parsemé d’étoiles filantes plus ou moins nombreuses toujours fort romantiques. Autant dire que l’une comme l’autre de ces deux sonates dégagent autan d’émotion.
Au triomphe de la mort de la n°2, livrée aux ténèbres, aux puissances d’en bas, la Sonate en si mineur, op. 58 propose dès le premier mouvement une profusion d’idées, un brin déstabilisante, et puis, on repère soudain des mélodies radieuses, d’une vocalité surprenante. L’œuvre dans sa globalité chante beaucoup. Elle oppose l’affirmation de la vitalité et du chant harmonieux – Allegro maestoso –, de la grâce avec ses prestes miroitements – Scherzo molto vivace – de la rayonnante beauté dont la contemplation remplit l’âme de mélancolie – Largo – et conclut avec une robuste exaltation – Presto non tanto -. En un mot, ou deux, l’opus 58 resplendit de vie, d’énergie, de lumière, et est très exigeante pour le pianiste sur le plan physique dans le finale ! Durée, environ 32 minutes.