Nina Bouraoui sera parmi les nombreux auteurs participant au Marathon des Mots 2024 à Toulouse et dans l’agglomération, nous offrant ainsi de revenir sur une œuvre aussi riche que variée.
Prenons ainsi Tous les hommes désirent naturellement savoir, paru en 2018, dans lequel elle part à la recherche de sa jeunesse et de son enfance perdues. Enfin, pas vraiment perdues car celles-ci ne l’ont jamais quittée. C’est ce balancement qui fait notamment le prix d’un livre en forme de kaléidoscope fouillant dans les malles à souvenirs. Née d’un père algérien et d’une mère bretonne, l’auteur de Mes mauvaises pensées (prix Renaudot 2005) a quitté Alger en juillet 1981, avant « la décennie noire », à l’âge de quatorze ans.
Cependant, les échos proches de cette effroyable guerre civile, frappant aussi d’anciens amis ou voisins, surgissent entre les pages.
Avant cela, il y avait eu d’autres départs, d’autres retours, mais au début des années quatre-vingt, Nina Bouraoui vit seule à Paris. Elle a dix-huit ans, ses parents sont installés dans le Golfe persique : « Paris s’ouvre à moi. Rue du Vieux-Colombier, le Katmandou, club réservé aux femmes dans les années quatre-vingt, est aujourd’hui devenu un théâtre. Les larmes et les disputes y étaient nombreuses. J’y ai appris la violence et la soumission. Il me suffit de fermer les yeux pour que ressurgisse le décor qui abritait mes nuits et de tendre la main pour saisir la main de celle que j’étais. Je n’ai pas perdu ma jeunesse, je viens d’elle et elle m’annonçait. »
Harmonie
« Je sors seule comme un homme. Je me crois libre, mais ce n’est pas la liberté : personne ne m’attend, personne ne m’espère », écrit celle qui avait peur et honte, honte de son homosexualité et de sa propre homophobie. Voici le temps des fêtes, des lumières, des soirées émouvantes et des petits matins difficiles, de l’amertume et des chagrins. C’est le moment aussi où la jeune fille commence à écrire et découvre « l’idée fausse que les mots protègent, réparent ou rendent meilleurs». L’Algérie n’est jamais loin : « Je n’oublie pas d’où je viens, les falaises de la route de la corniche, la palmeraie de Bou Saada, les sentiers de Chréa, les roseaux avant la plage ».
Des souvenirs heureux remontent (« les femmes allongées sur les rochers, les voix de ma mère et de ma sœur m’appelant depuis le sixième étage de la Résidence à Alger »), d’autres sont plus traumatisants, comme celui du jour où sa mère rentra à la maison avec sa robe déchirée et de la suie sur le corps.
Tout cela constitue pourtant une « Algérie poétique, hors réalité », une Algérie secrète, « mon paradis que je n’accepterai jamais d’avoir perdu ». Enfant, elle observait les voisins d’en face, qui faisaient partie de ces Français restés en Algérie pour construire le socialisme : « Je me demande s’ils se sentent Algériens ou Franco-Algériens ou chrétiens d’Algérie, ou Français sans patrie, pieds-noirs et survivants. Je les crois mélancoliques, comme moi qui ne sait pas où me situer, ayant l’impression de trahir ma mère ou mon père quand je fais le choix d’un pays, d’une nationalité. » Ce déchirement n’a sans doute jamais cessé, mais il est aussi une harmonie qui rejaillit sur une écriture d’une limpidité lumineuse.
Tous les hommes désirent naturellement savoir – JC Lattès