Dans le prolongement de ses Carnet de bal, quatre formidables volumes rassemblant chroniques et articles parus entre 1992 et 2019, Marc Lambron a réuni avec son nouveau livre, De vive voix, une sélection des entretiens qu’il a réalisés pour la presse écrite.
On connaît la variété des passions et des curiosités de cet écrivain qui est à la fois un enfant du rock et un enfant de Saint-Simon. Romancier cultivant ses activités journalistiques avec une rigueur et une finesse devenues anachroniques, l’académicien confie dans l’avant-propos considérer l’entretien comme un « genre littéraire » à part entière et De vive voix illustre cette conception transformant ce qui est souvent un exercice de promotion en réelle conversation.
L’un des secrets de l’auteur des Menteurs est d’avoir préservé un « regard d’enfance » sur les stars qu’il admira longtemps avant d’avoir le privilège de les rencontrer. Jamais blasé, il a ainsi collecté les confessions de gens de toutes sortes, mais son recueil est aussi en quelque sorte un livre d’Histoire et d’histoires.
On se promène dans le temps, les époques défilent, les récits et les anecdotes d’artistes reconstituent des manières de vivre, d’aimer, de créer. Réalisés essentiellement dans les années 1990 et au début des années 2000, ces entretiens témoignent encore d’« une liberté disparue ». Liberté dans le ton, liberté dans la forme, avant que les « press junkets » n’imposent des interviews à la chaîne en dix minutes chrono.
Florilège
La diversité des personnalités interrogées fait évidemment le prix de ce florilège. On n’en citera que quelques-unes, dans le désordre parmi la soixantaine convoquée, pour donner une idée du kaléidoscope : Raymond Devos, Marianne Faithfull, Karl Lagerfeld, Isabelle Adjani, Michel Polnareff, Faye Dunaway, Jean-Marie Périer… Paradoxalement, il y a ici très peu d’écrivains, mais des grands maîtres étrangers dont la qualité compense la quantité : Alberto Moravia, Tom Wolfe, Martin Amis, William Boyd et Mario Vargas Llosa.
Chacun aura ses préférences dans ce gros livre de plus de 500 pages. La nôtre va aux trois entretiens avec Jeanne Moreau qui sont autant de chefs-d’œuvre. L’actrice a connu le monde entier. Certains de ses souvenirs sont à épingler comme des papillons.
Extrait :
« A Versailles, où j’habitais un rez-de-chaussée, Roger entrait par la fenêtre. Un été, je passe quelques jours avec mon fils dans un ravissant hôtel du lac de Côme. La suite où je résidais comportait un placard dont le fond ouvrait sur la chambre adjacente. Nimier, lui, séjournait avec Paul Morand de l’autre côté du lac. Il m’envoyait par bateau des mots écrits sur des tickets de caisse, où Morand ajoutait quelques lignes. C’était un duo épistolaire. Un jour, Roger a trouvé le moyen de surgir dans ma chambre en traversant la porte du placard, comme un passe-muraille. Morand, lui, n’est jamais apparu. »
La conversation avec Woody Allen lors de la sortie de Deconstructing Harry en 1997 est un bol d’air frais : « La déconstruction est très à la mode dans la critique littéraire depuis dix ans, il y a des gens beaucoup plus intelligents que moi qui sont engagés là-dedans. Je trouve ça idiot, drôle et pas très bon pour la littérature. De manière générale, les critiques qui vous disent « vous ne savez pas ce que vous avez fait, je vais donc vous le dire », sont des présomptueux. Mais c’est très populaire dans les universités. » A sa manière, Lambron perpétue l’art de la compréhension et du partage à l’écart des déconstructeurs.