Femme de convictions, profondément attachée à l’Occitanie, Sophie Iborra est une personnalité toulousaine connue pour ses engagements en faveur des droits des femmes et des questions de diversité dans l’économie et la société. En devenant Directrice Conseil Diversité & Inclusion pour La Tribune / La Tribune Dimanche et membre du Comex, Sophie Iborra s’est taillé une place de choix pour donner la parole à des personnalités culturelles, sociales, économiques, ou politiques, femmes engagées, notamment à travers son podcast mensuel Les Héritières créé en 2021. Histoire de faire bouger les lignes, nous avons voulu donner la parole à celle qui donne la parole aux autres. Rencontre avec cette autre « Héritière », à travers 4 temps forts : Le portrait, la carte blanche, l’invitée de l’invitée et la lettre.
Le Portrait
Le parcours de Sophie Iborra, petite-fille d’émigrés espagnols au regard brun pétillant, au ton accrocheur et plutôt direct est à l’image des femmes qu’elle interviewe: Singulier et universel, en soi, un exemple de transmission qui raconte forcément une histoire d’héritage.
« Par mon père comme par ma mère, je suis l’héritière d’une famille de « déracinés ». D’un côté mon grand-père, en résistance contre le régime de Franco en Espagne a dû s’exiler en Algérie à Oran, parce que condamné à mort, suivi de son fils, mon père, qui l’a rejoint avec ma grand-mère et mes oncles et tantes. La guerre d’indépendance éclate, il a fallu donc vivre un deuxième départ vers la France. Au même moment, ma mère née en Algérie a dû, elle aussi, partir pour s’installer à Toulouse. Il a fallu s’adapter, reconstruire une vie en gardant les stigmates de la guerre mais en promettant de rester engagés pour les valeurs de la république».
Née le 4 mars 1971 à Toulouse, Sophie Iborra grandit avec son frère dans une famille aimante très concernée politiquement et sociétalement. Le dimanche midi, on parle de tout et surtout de politique, entre laïcité, avortement et féminisme. « Je suis très attachée à Toulouse, c’est une terre d’histoire, la terre de mes origines, de toute cette Retirada espagnole mais aussi une ville que je trouve innovante et inclusive, elle me manque en fait. »
Son parcours professionnel se joue aujourd’hui à Paris mais la ramène toujours aux sources, avec un fil rouge, celui d’une femme qui aime débattre et s’investir pour ses convictions. Ainsi en 2012, Sophie Iborra imprègne d’abord son engagement dans l’économie locale toulousaine, en fondant un club économique paritaire, Exaequo, dans le but de « promouvoir, aider et ou récompenser l’ensemble des initiatives liées au progrès en matière de parité et d’égalité dans l’entreprise ».
Sa rencontre amicale avec Jean-Christophe Tortora, aujourd’hui Président du Groupe de presse La Tribune a lieu à Toulouse à l’époque où Sophie Iborra dirige CLB, l’agence de communication qu’elle a créée dans la Ville rose. Elle mène alors de front, la gestion d’une entreprise et l’éducation d’une enfant en bas âge, ce qui lui permet de toucher du doigt la difficulté de concilier la vie de dirigeante et celle de maman solo. Au bout de 13 ans, elle décide d’arrêter CLB pour se mettre en freelance. Elle devient alors Coordinatrice générale de FUTURAPOLIS et FUTURAPOLIS SANTE pour le magazine Le Point, pendant quelques années.
En 2019, Sophie rejoint le bureau de la CPME 31 (Confédération des Petites et Moyennes Entreprises), pour y créer le programme MIX’HER, ayant pour objectif de valoriser la mixité en entreprise et d’accompagner les femmes entrepreneures dans leur parcours. « Les femmes n’étaient et ne sont toujours pas des entrepreneures comme les autres, car elles n’ont pas les mêmes chances de réussir, un syndicat se devait de les fédérer et de les accompagner » précise-t-elle.
Fort de ses engagements et actions, Marlène Schiappa – alors Secrétaire d’État chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes et de la Lutte contre les discriminations lui propose de devenir membre du Haut Conseil à l’Égalité entre les femmes et les hommes.
C’est à ce moment-là que la CPME Nationale propose à Sophie Iborra de rentrer au COMEX en la nommant Vice-présidente de l’organisation pour être en charge de la place des femmes dans l’économie. A peine un an plus tard, grâce à son expertise des médias et ses engagements nationaux, Sophie Iborra signe un contrat avec la direction de La Tribune: « Jean-Christophe Tortora, déjà Président du journal qu’il avait racheté 10 ans auparavant, m’a demandée d’accompagner son comex sur les questions d’engagement. C’était un nouveau challenge pour moi, à 49 ans, c’était le bon moment. Cette opportunité coïncidait avec le départ de ma fille à Paris pour ses études. En plein Covid, c’était risqué, je ne pensais pas que j’allais y rester longtemps et finalement 4 ans après, je suis toujours là et j’y suis bien »
En arrivant à La Tribune, Sophie propose des contenus éditoriaux à la rédaction, c’est comme cela qu’elle lance en 2021 un podcast, les Héritières, qu’elle anime depuis 3 saisons. Son ambition ? « Donner la parole à des femmes au parcours exceptionnel. Raconter des histoires à la fois singulières et universelles, une parenthèse intime dans la vie de ces femmes qui pensent et font le monde d’aujourd’hui et de demain ».
Sophie Iborra s’inscrit en parallèle sur le thème de la diversité dans l’économie qui s’adresse aux entreprises et aux candidats entrepreneurs d’où qu’ils viennent. Elle conçoit et coanime Engage-moi ! Les nouveaux codes de la réussite, un programme Web mensuel et collectif proposé par La Tribune et la Fondation Mozaïk, en partenariat avec les acteurs de terrain engagés : Diversidays, Mixity et Visible média.
Alors que ses mandats s’achèvent bientôt à la CPME et au Haut Conseil à l’Égalité entre les femmes et les hommes, elle a rejoint le Conseil féminin de l’association #JamaisSansElles dont l’objectif est de renforcer la visibilité des femmes notamment dans les médias, leur rôle dans les organisations, favorisant ainsi la mixité des métiers, la lutte contre les stéréotypes de genre, l’entrepreneuriat et la gouvernance partagée.
La Carte blanche
La carte blanche demandée à ses invitées consiste à créer un espace-temps où l’invitée s’exprime en choisissant son sujet, en livrant sa vision sans que personne ne la contredise. « Dans cette Carte blanche, on écoute leurs convictions, leur parti-pris. On les écoute ! C’est ça l’objet : pouvoir dire ce que vous voulez à qui vous voulez et comme vous voulez ».
Et quand il s’agit de l’intervieweuse interviewée, voici sa réponse :
«Si je devais vous livrer ma carte blanche, ce serait un coup de gueule et un cri d’alarme contre cette petite musique dangereuse et insidieuse qui envahit la scène politique, nos réseaux sociaux et certains médias selon laquelle « l’autre », celui ou celle qui n’aurait pas la même couleur de peau, les mêmes origines ou la même religion serait un ennemi. Avez-vous remarqué que ce pays devient de plus en plus intolérant et silencieux devant les attaques répétées contre nos valeurs ? Pendant que l’extrême droite creuse son sillon dans les sondages, certaines féministes à géométrie variable ne disent pas un mot sur le massacre des femmes juives le 7 octobre dernier. La chanteuse Aya Nakamura, doit faire face à des discours de haine, banderoles fièrement exhibées dans les rues de Paris avec pour message « Y’a pas moyen Aya, ici c’est Paris, pas le marché de Bamako ».
Et pourtant, je suis intimement convaincue que la France, ce n’est pas ça. La France ce n’est pas le repli sur soi, le rejet ou l’exclusion, en revanche, si nous ne prenons pas la parole pour contrer ces idées nauséabondes, nous irons dans le mur. Il y a urgence à combattre cette idéologie mortifère qui fracture et divise notre pays. À quelques mois des Jeux Olympiques de Paris 2024, le monde nous regarde, soyons à la hauteur de notre devise, il est temps de sortir du silence, après la sidération devant de tels comportements et propos vient le temps de l’action, car contrairement à ce que voudraient nous faire croire les porteurs de haine de plus en plus décomplexés, le racisme, la xénophobie et l’antisémitisme ne sont pas des opinions, ce sont des délits. »
L’invitée de Sophie Iborra
Qui Sophie Iborra inviterait-elle en tant qu’Héritière de son propre Podcast ?
« Il y en a tellement ! Dans Les Héritières, je voulais justement que mes invitées invitent elles-mêmes des femmes moins connues, moins exposées, mais qui méritaient qu’on les écoute et que l’on connaisse leur parcours. Elles sont présidentes d’associations, autrices, avocates, productrices de vin, soignantes… c’est inépuisable ! La mienne serait sans doute l’une de ces professionnelles qui accueillent et accompagnent les femmes victimes de violences, elles leur donnent la force de partir, de parler, de porter plainte pour se permettre de se reconstruire. Elles font un boulot aussi merveilleux qu’indispensable. »
La lettre
À qui s’adresserait la lettre de Sophie Iborra ?
« Probablement à toutes ces femmes au destin tragique. À Masha qui défie la mort cheveux au vent, à Sarah qui continue de danser malgré l’horreur du 7 octobre, à Sakina qui pleure sous les bombes à Gaza, à Augustina qui lève le poing dans les rues d’Argentine, à Ruby qui veut pouvoir choisir d’avorter au Texas, à Iryna qui fait la guerre à Kiev … J’ai une profonde admiration pour ces femmes et mesure la chance qui est la mienne d’être née et de vivre en France. »
Quel autre plus bel héritage que celui de la parole libre, celle que l’on prend et que l’on donne à des femmes qui s’engagent. Sophie Iborra défend les valeurs d’un féminisme universaliste et de la laïcité. Elle incarne cette valeur de l’effort, de la méritocratie, sans renier qui l’on est, sans oublier d’où l’on vient. « On est héritière de tellement de choses » dit-elle, mais finalement, c’est grâce à son héritage culturel, politique et familial qu’elle poursuit aujourd’hui avec force et passion ses engagements de femme et de citoyenne. Pour Sophie Iborra, la constitutionnalisation de l’IVG n’est pas une fin en soi, même s’il s’agit pour elle, d’une avancée historique. « Rien ne peut jamais être gravé dans le marbre pour les jeunes générations. Il convient de toujours être vigilantes ».
« Ce podcast parle de l’héritage de toutes ces femmes quelle que soit l’époque et leur source d’engagement. Outre l’héritage de Simone Veil, Simone de Beauvoir, Gisèle Halimi ou encore Elisabeth Badinter, je pense à ma grand-mère, aux femmes qui m’ont tendu la main, ces femmes qui se battent pour leurs droits et je me sens responsable de poursuivre cet héritage et de le transmettre à mon tour. »
Avec le rachat de La Tribune par le Groupe CMA CGM, de nouveaux horizons se dessinent. Le prochain rendez-vous sera parisien avec l’évènement Women For Future qu’elle organisera pour La Tribune en octobre 2024, dont l’édition toulousaine l’année dernière avait connu un franc succès. « Les nouvelles perspectives de ce rachat sont immenses, avec notamment l’arrivée de La Tribune Dimanche, j’ai envie de m’inscrire dans la durée », affirme Sophie Iborra, « il y a tellement à faire sur ces questions d’engagements, de diversité, de mixité, aller plus loin en voyant plus grand. »
Porte-Parole sinon rien.
Propos recueillis par Maïa de Martrin