La Femme sans ombre, ou sa capacité à souffrir, sa capacité à aimer
Die Frau ohne Schatten, opéra de Richard Strauss, est entré dans le répertoire de l’Opéra national du Capitole de Toulouse le 6 octobre 2006 grâce à Nicolas Joel, dans sa production, reprise justement par Christophe Ghristi, son Directeur artistique actuel, en ce 25 janvier 2024, à 19h. On ne peut que louer la reprise de cette production accueillie alors avec un total enthousiasme.
Paris, ce fut en 1972. En province, d’abord à Strasbourg en 1965 puis Marseille en 1992 et donc Toulouse en 2006, création in loco dans une interprétation digne des plus grandes scènes internationales pour cette “Frosch“, dixit Richard Strauss (“Fr-o-sch“ – « grenouille », Die Frau ohne Schatten, abréviation affectueuse du musicien).
Créé le 10 octobre 1919 à l’Opéra de Vienne, l’ouvrage aura subi une gestation d’environ dix ans. Le succès est relatif. Richard Strauss et son librettiste attitré, le poète autrichien Hugo von Hofmannsthal ont conçu et écrit cet opéra dans lequel ils ont déployé toutes leurs ressources. La correspondance à ce sujet, extrêmement fournie, est éloquente. Le projet remonterait à l’année 1906. C’est l’année de leur première collaboration avec Elektra. Suivra, 1911 et Le Chevalier à la rose puis, Ariane à Naxos en 1912. Arrive 1913, quand le poète a une illumination, celle d’un conte magique où deux hommes et deux femmes sont confrontés. L’une de ces femmes est un être féérique qui aspire à devenir humaine, l’autre est terrestre, avec toutes les insatisfactions les frustrations que peut ressentir une femme qui a des sautes d’humeur mais aussi du cœur. Donc, pour l’action scénique, trois plans différents : le monde transparent et froid des esprits, un monde intermédiaire où se rencontrent les esprits et les humains, et le monde des humains, le monde du labeur et des larmes, de la misère et de…l’amour. Le vrai succès, ce sera à Salzbourg, 1932.
Puisque c’est une reprise, louons tout de suite l’écrin que nombre d’entre nous ont pu applaudir en 2006 et qui devrait combler les spectateurs sur les quatre représentations prévues, annoncées complètes. Nicolas Joel n’est plus là mais Stephen Taylor est à la tâche en tant que collaborateur artistique. Signant lui-même la mise en scène, Nicolas Joel prenait à bras le corps les presque quatre heures de spectacle, trois actes et deux entractes, et s’attelait aux difficultés que présente ce conte allégorique, philosophique d’une grande complexité symbolique, très difficile à monter, tant sur le plan scénique, vocal que musical, On retrouvait bien là dans son travail son principe de base : il aime être explicite quand il met en scène. Une façon de rendre estime au musicien et au librettiste. Il respecte leurs intentions aussi bien dans la fosse que sur le plateau. Ça tombe bien, Christophe Ghristi aussi ! Strauss et Hofmannsthal seront donc gagnants, encore.
Difficile en effet de visualiser un propos oscillant entre le conte de fées et le parcours initiatique, à travers une histoire qui porte en elle un message humain très intense. Le livret est très marqué par une certaine Flûte enchantée d’un dénommé Mozart dont le librettiste reprend l’idée alors du parcours initiatique. Rappelez-vous, Papageno, qui ne croit qu’à des biens humbles , mais qui y croit de tout son cœur, Pamina, fille née-haut, et qui trouve dans la compassion, l’élévation à l’humain que Tamino, né prince cherche dans le rituel initiatique.
Alors, vous saisirez mieux pourquoi Le Teinturier Barak devient un personnage central et que le symbole de l’ombre domine l’action. Une ombre qui manque à l’Impératrice qui, née fée, en est dépourvu et donc privée de maternité, cette ombre étant symbole de fécondité. Un Barak, débordant d’innocence et de bonté puisque, nourrissant ses trois frères vivant sous son toit et acceptant que son épouse renonce à sa descendance pour préserver sa beauté dans l’éclat superficiel de la vie. Tout en supportant que rien d’autre ne la domine que l’attrayante pensée de la fuite hors de la misère et de la monotonie de sa médiocre existence. Il faut voir sa réaction amoureuse quand il apprend que son épouse est prête à vendre son ombre en échange de richesses et autres éléments.
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Ezio Frigerio a conçu un superbe dispositif monumental mais sobre, aux teintes qualifiées alors de “préraphaëlites ou anthroposophes“ et dont le mécanisme complexe est cependant facile pour le spectateur qui a besoin de repère. Il faut en effet pouvoir passer facilement du monde des Esprits à celui des Humains !!! Vous suivrez sans lassitude aucune le mouvement des escaliers qui montent et qui descendent et remercierez la technique qui, à son habitude, réalise des prouesses.
Ces décors se complètent avec des costumes de Franca Squarciapino, somptueux chez les Esprits mais tout autant chez les Humains avec une esthétique qui complète chaque tableau. Où, quand les costumes du souverain et de son entourage évoquent en haut, par leur somptuosité, “les Mille et Une Nuits“ et laissent la place aux magnifiques chiffons des teinturiers, dessous. Et grâce aux savants jeux de lumière de Vinicio Cheli, le spectacle devrait avoir pour mérite, à nouveau, de mettre la musique au premier plan de nos préoccupations, en particulier l’orchestre, dans la mesure où l’attention ne sera pas détournée vers une lecture conceptuelle compliquée du drame. On a là sans doute la partition la plus fascinante de Richard Strauss, avec cette musique, puissante et audacieuse avec ces hardiesses d’écriture ( on est en 1919 !) s’intégrant parfaitement aux formes les plus accessibles du grand public de l’époque.
La fosse affichera complet avec son lot de musiciens de l’Orchestre national du Capitole, le livret permettant au compositeur de revenir au grand orchestre et au style poème symphonique de Salomé. Ils sont placés sous l’autorité d’un chef qu’ils connaissent bien, qui a déjà dirigé ici même plusieurs opéras, en un mot, un habitué du lieu, à savoir Frank Beermann. On frémit d’aise par avance car on sait que, conscient de l’intensité dramatique de l’orchestration, il va préserver la primauté du chanteur, la parole étant fondamentale dans cette œuvre. Souvenez-vous, dernière preuve assénée à un public conquis : Tristan et Isolde. Il y a huit interludes qui sont de véritables poèmes symphoniques miniature. Le comportement orchestral est tel qu’on a écrit : « Die Frau ohne Schatten est qualifiée de variations fantastiques sur un thème de caractère magique. » Les Chœurs du Capitole et la Maîtrise du Capitole sont présents aussi (Servantes et Voix des Enfants à naître).
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N’oubliez pas tout ce qui est proposé par le Théâtre concernant chaque ouvrage d’opéra. Plus particulièrement ici, pour cet opéra, la journée d’étude du jeudi 18 janvier de 9h à 17h
Opéra national du Capitole
du 25 janvier au 04 février 2024
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