Rencontre avec Benoît Séverac pour son roman « le tableau du peintre juif »
C’est un écrivain qui porte sur l’humain un regard tendre mais sans concession. Après « Tuer le fils », roman couronné de prix, dans lequel un fils va jusqu’à commettre un meurtre juste pour plaire à son père, Benoit Séverac publie « le tableau du peintre juif » aux éditions la Manufacture de livres. Une intrigue palpitante qui oscille sans cesse entre les années 40 et aujourd’hui, avec, en filigrane, la question de l’héritage et du fardeau qu’il fait peser sur nos épaules. Rencontre avec un auteur majeur du roman noir.
C’est un homme chaleureux et volubile qui créé tout de suite le lien quand il s’installe en face de vous, à une table du café « le Cactus », son quartier général à Toulouse. Benoît Séverac a le goût et la curiosité de l’autre. Quand on lui demande ce qui déclenche l’écriture d’un livre, il répond :
« C’est toujours une rencontre avec quelqu’un ou quelque chose qui suscite une émotion chez moi, ça peut être de la colère, de l’indignation ou parfois juste un pur intérêt romanesque ».
Pour « le tableau du peintre juif », l’intrigue lui a été servi, comme on dit, sur un plateau. En 2018, il hérite d’un mystérieux tableau, offert à son grand-père par un peintre qu’il a caché pendant l’occupation et qui lui est présenté comme « le tableau du peintre juif ».
Un vrai déclencheur d’imagination pour un écrivain !
« A partir de là j’ai pensé, si c’est un peintre connu, ce sera jackpot ! Le tableau ne valait pas grand-chose mais je me suis dit, tiens, le réflexe vénal que tu as eu, utilise-le. Imagine que le tableau ait un prix et imagine que ce soit un type de ton âge, au chômage, dont le couple bat de l’aile, qui en hérite. Imagine que ce type, qui est en pleine crise de la cinquantaine, décide, au lieu de vendre le tableau comme le voudrait sa femme, de s’en servir, par procuration, pour donner un sens à sa vie »
Le personnage de Stéphane, un cinquantenaire pas très glorieux, était né. Et son obsession va être de faire reconnaître ses grands-parents comme « Justes parmi les Nations ». Coup de théâtre, le tableau est saisi parce qu’il appartient à une liste d’œuvres d’art spoliées. Stéphane perd tout, la réputation de ses grands-parents, le tableau et sa femme. Comment va-t-il faire pour récupérer les trois ? Et que s’est-il vraiment passé, à l’hiver 1943, pendant la fuite éperdue du peintre et de sa femme ? Le roman est lancé et cavale entre deux époques, à travers le monde.
« J’ai précédé mon personnage. Je suis allé en Israël, j’ai rencontré des flics, des avocats, des peintres, j’ai fouillé les archives espagnoles. J’ai traversé les Pyrénées en suivant le chemin des passeurs. Tout ce que je vivais, c’était du matériau pour mon écriture. Je me disais en permanence, fais attention à ce que tu vis, ce que tu traverses, ce que tu ressens parce que c’est ce que ton personnage va traverser »
Pour écrire les chapitres sur le peintre, qui fuit à travers les Pyrénées, Benoit Séverac a passé beaucoup de temps au Musée de la résistance et de la déportation de Toulouse.
« Une sacrée institution méconnue des toulousains et dont ils devraient s’enorgueillir parce qu’ils font un formidable travail d’accueil et d’ouverture pour les gens comme moi, qui ne sont pas historiens ». Le livre nous rappelle que Toulouse a été une ville de résistance, avec jusqu’à 60 réseaux, la plupart sous l’influence de républicains espagnols communistes et anarchistes.
« On a un peu oublié que ce sont eux qui ont libéré Toulouse » dit Benoît Séverac qui en profite pour réhabiliter ces héros ignorés par l’histoire nationale.
Entre deux gorgées de café, Benoit Séverac me livre aussi ce qu’est pour lui la clef du roman noir.
« On n’est pas dans le thriller qui fait peur, on n’est pas dans l’enquête policière. C’est le milieu sociologique et psychologique qui est le véritable levier. Quel est mon libre arbitre, en quoi suis-je victime de mon milieu ou de ma famille ? J’offre, dans mes romans, un espace de réflexion où l’on se pose des questions sur nous-même et sur le mal qui est en nous »
C’est pour cela que ses personnages ne sont ni blancs, ni noirs, ils nous ressemblent. Ils sont souvent très drôles, et parfois pathétiques. L’écrivain a le génie de capter nos petits travers, nos petites faiblesses.
« Les personnages, c’est ce qu’il y a de plus important. Ils doivent être hyper crédibles, incarnés, nuancés et doivent interagir de façon subtile. Je mets des mois à construire la centaine de personnages qui habitent mes romans. Et je m’inspire des gens que je rencontre. C’est ça mon métier. Capter des choses, des petits détails véridiques pour créer la psychologie d’un personnage »
« Le tableau du peintre juif » est un roman remarquable qui entre dans une seule catégorie : la sienne.
Roman d’enquête avec un twist final digne des meilleurs polars. Roman historique, à hauteur d’homme, sur la spoliation des biens juifs pendant l’occupation. Enquête familiale, l’auteur dit être fasciné par la psycho généalogie et les fardeaux qui ne nous appartiennent pas et que l’on porte sur les épaules.
Juste avant de nous quitter, à regret j’avoue, tant l’homme raconte aussi bien qu’il écrit, Benoit Séverac me donne le thème qui, selon lui, domine son livre.
« Le personnage de Stéphane doit se délester tout au long de son itinéraire. Le thème de livre serait « et toi, que vas-tu faire de ta vie à toi ?»
C’est ce que le livre raconte aussi, le difficile chemin que l’on doit parcourir pour s’affranchir du passé, se libérer de l’avenir et enfin vivre sa propre vie.
Le tableau du peintre juif • 10/18 éditions