Jacques Perret (1901-1991) mena une vie d’aventurier, pratiqua mille métiers notamment sous des contrées exotiques avant d’entrer en littérature (avec Roucou en 1936), mais comme beaucoup de sa génération, il fut profondément marqué par l’expérience des armes. En 1921, il participa à la guerre du Rif. En 1939, il fut fait prisonnier, s’échappa (à la quatrième tentative) et s’engagea dans un maquis de l’ORA. De son passage dans la Résistance, il tira Le Caporal épinglé (qui sera adapté au cinéma par Jean Renoir) et Bande à part (prix Interallié 1951). En 2011, le recueil Dans la musette du caporal rassemblait des textes rares ou inédits ayant trait à la guerre. Né dans une famille où l’amour de la patrie était vécu « comme un sentiment dramatique, obligatoire et satisfaisant », il vit en 1914 son père endosser l’uniforme : « Gravement blessé à l’épaule il fut ramassé par l’officier prussien sur lequel il avait déchargé en vain le contenu de son barillet. Nous avons, par la suite, récupéré sa cantine. Elle fait office aujourd’hui de coffre à souvenirs. Il s’y trouve, entre autres, le mince héritage de mon frère tué à l’ennemi deux ans plus tard. »
Hommage poignant
Le texte intitulé « La Mort de mon grand frère » constitue à lui seul un chef-d’œuvre de style, de sensibilité et d’émotion. « Mon frère avait une passion pour l’Histoire de France. Ses rêveries d’enfant avaient tourné en vocation. Ardent à vivre dans un passé vivant, il s’émerveillait d’être né dans le plus beau royaume sous le ciel et sa courte existence en fut enchantée jusqu’en ses jours les plus sombres et peut-être bien jusqu’à l’heure de sa mort. On peut dire au moins de lui qu’il n’est pas tombé sans savoir pour quoi ni pour qui », se souvenait le cadet. Un an plus tard, la famille du soldat fut invitée par « le service du rassemblement des morts » à l’exhumation des corps enterrés à la hâte sur le champ de bataille.
Jacques Perret, alors âgé de seize ans, accompagna son père auprès des « déterreurs assermentés » cherchant sur l’ancien champ de bataille, à Péronne, les restes de trois soldats français inhumés ensemble : « Aux premiers coups de pelle les os couleur de rouille furent mis à jour et les fossoyeurs, constatant bientôt qu’ils étaient un peu mélangés, invitèrent doucement mon père à reconnaître là-dedans ce qui appartenait à son fils. “D’après la dentition, disaient-ils, ou la taille des os longs.“ Il hocha la tête, me consulta du regard, et répondit aimablement quelque chose comme : “Faites pour le mieux“, car il était non seulement la pudeur, mais l’obligeance mêmes. Les fossoyeurs firent trois lots dans lesquels vraisemblablement les trois camarades avaient donné chacun leur part. Les débris furent placés dans le fond de trois sacs dûment étiquetés, tandis que mon père, d’un signe de croix, remettait à Dieu le soin d’arranger tout cela, si besoin était, le jour venant. Le petit cortège regagna la camionnette qui nous attendait sur une espèce de route. Marchaient en avant les porteurs de sac, la famille suivait. Nous avions l’air de voleurs de pommes de terre. »
Le texte qui clôt Dans la musette du caporal rend un hommage poignant à ses camarades de la Résistance « qui, sortis sans galon d’un rude maquis, sont retournés tout bonnement aux disciplines quotidiennes ». On y retrouve Ramos que les lecteurs de Bande à part avaient appris à aimer. Rien d’héroïque dans la guerre vue par Perret. Juste l’honneur et ses réflexes, un sentiment de fraternité et le souvenir des morts.
Dans la musette du caporal • Le Dilettante