Jean-Luc Coatalem fait partie de la famille de nos grands écrivains méconnus. Cela fait pourtant près de trente ans qu’à travers romans, récits ou nouvelles, il construit une œuvre pleine de fantaisie et de douce mélancolie sur fond d’horizons lointains. De Zone tropicale à Mission au Paraguay en passant par Suite indochinoise, Je suis dans les mers du Sud ou Le Dernier Roi d’Angkor, les titres des livres de Coatalem dessinent une part de son inspiration sans que l’étiquette d’« écrivain voyageur » ne suffise à cerner sa géographie littéraire.
Dans son roman, Le Gouverneur d’Antipodia paru en 2012, il invite le lecteur à découvrir une île, ou plutôt un confetti « à mi-chemin entre le sud de la Tasmanie et le nord du continent Antarctique ». La population y est minimale : deux âmes et un troupeau de chèvres. Parmi les humains, voici Albert Paumier de Franville, cinquante-deux ans : « Détaché par la compagnie La Glaciale qui en a la concession, mais sous l’autorité du préfet des TAAF (Terres australes et antarctiques françaises), je suis à la fois l’administrateur de ces terres désolées, le conservateur de sa faune et de sa flore, son météorologue, son officier légiste et son douanier, bref, une sorte de consul honoraire. » Bref, c’est le patron et il aime se faire appeler « le Gouverneur » ou « le Gouv’ ». Sous sa gouverne : François Lejodic alias Jodic, trente-quatre ans, qui entame sa deuxième saison à Antipodia en qualité d’électromécanicien.
L’humanité, quelle farce…
On devine qu’être muté sur cet ilot, où les cieux « sont rouges et noirs comme dans un décor de music-hall », n’est pas vraiment une promotion. Le Gouverneur paie pour avoir été pris dans une sombre affaire de mœurs tandis que son compagnon est venu oublier « le monde d’avant » et sa vie d’autrefois « devenue un rêve effiloché ». Pour se distraire, les deux hommes alternent parties de Scrabble et de fléchettes. Il y a aussi Babetta, une Suédoise pas farouche dont les performances cinématographico-sexuelles sont consignées dans une précieuse VHS. Quant à Jodic, il possède son petit jardin secret : le bien-nommé reva-reva, plante hallucinogène dont le jus le sauve de la mélancolie en lui redonnant – la cueillette cédant la place, civilisation oblige, à la chasse – le goût d’instincts anciens et un peu guerriers. Quelques chèvres ne s’en remettront pas. L’existence de ce tandem, aussi harmonieux que désaccordé, va être troublée par l’arrivée d’un naufragé mauricien. Sauvé des eaux, Moïse n’est pas pour autant sorti d’affaire…
Si les motifs rassemblés dans Le Gouverneur d’Antipodia, qui rappellent autant Robinson Crusoé que Le Désert des Tartares, ne sont pas inédits, Jean-Luc Coatalem les revisite à sa manière : altière et mordante. L’absurde s’invite dans cette sorte de fable métaphysique qui s’achève dans un jeu de massacre désolant et réjouissant. Chez Coatalem, on croit pouvoir fuir, s’échapper, trouver enfin des latitudes plus accueillantes. Peine perdue. « L’humanité, quelle farce ! », s’exclame le Gouverneur. Cela pourrait être aussi le titre de ce roman drolatique et noir, mais ce serait oublier la grâce poétique de son style : « Une grosse mouche est posée sur mon doigt, bague éphémère et merveilleuse. Mes souvenirs ressemblent à ces fleurs de thé japonais qui se déplient et s’épanouissent dans l’eau brûlante. Laisser refroidir. Bonsoir, choses d’ici-bas. » On croyait être chez Jules Verne et l’ombre de Paul-Jean Toulet apparaît.
Le Gouverneur d’Antipodia – Le Dilettante