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Interview : Gérard Lanvin décrypte l’an 20 en duo musical père-fils

by Ines Desnot

C’est un nouveau chapitre de la vie d’artiste de Gérard Lanvin. Une parenthèse ouverte pendant le premier confinement. Un projet musical avec son fils, Manu Lanvin. L’un a écrit, l’autre a composé. Puis l’album « Ici-bas » est né. Ce projet sera présenté à Toulouse sur les planches d’Altigone, le 24 novembre prochain. À cette occasion, Culture 31 a échangé avec l’acteur, ravi de rencontrer son public grâce à la scène.

Gérard Lanvin
© Eric Martin

Culture 31 : Ménage, régie, théâtre d’improvisation, cinéma, doublage… Et maintenant la musique, en duo père-fils. Comment s’est amorcé le début de cette nouvelle aventure ?

Gérard Lanvin : Par un concours de circonstances, étant donné qu’on a tous été obligés d’arrêter nos activités à cause du coronavirus, et l’enfermement imposé. À la suite de cet enfermement, il y avait deux solutions. S’emmerder ou essayer de faire quelque chose de ces moments impossibles à évaluer dans le temps. Donc Manu m’a appelé et m’a dit : « Et si on faisait ce qu’on a jamais eu le temps de faire ensemble ? ». C’est-à-dire partager un moment artistique. Comme lui est musicien et que moi, j’écris, il m’a proposé de se réunir pour faire une tentative d’album. Puis cette tentative est devenue un album.

Ensemble, vous avez écrit et composé le single « Appel à l’aide » en 2020. Titre sorti à l’occasion de la journée internationale des droits des femmes – un an plus tard – puisqu’il aborde le sujet des féminicides. Mettre des mots sur un sujet si lourd, c’est plus « facile » en musique ?

Oui, de toutes façons tous les thèmes abordés dans l’album sont d’actualité aujourd’hui et d’autant plus en ce moment. Les musiques que Manu avait faites ont été très porteuses pour les mots que j’avais à mettre dessus. Ce sont des musiques très populaires. Ça vient notamment du blues, et ça permet d’aborder beaucoup de sujets. Il avait ses musiques prêtes, et j’ai écrit avec lui de manière à ce que mes mots se casent en refrain ou en couplet.

C’est effectivement plus facile d’écrire quand on a les musiques, mais ce n’est que mon avis car je ne suis que profane là-dedans. La musique m’a donné des intentions et des envies de parler de certaines choses. J’avais écrit pour Bernie Bonvoisin et Paul Personne à l’époque, mais sans les musiques. Mais comme ils ont pris les textes et les ont chantés, je me suis autorisé à penser que je serai capable d’écrire des chansons, et donc je l’ai fait.

Avec #MeToo, de nombreux comportements ont été dénoncés dans les milieux du cinéma comme de la musique. Est-ce aussi une manière de vous positionner, plus ou moins directement, dans le débat, de réaffirmer votre féminisme ?

Bien sûr. De toute façon, ce sont des métiers où il faut affirmer les couleurs. Ce sont des vecteurs, ça véhicule nos idées, nos intentions de les défendre, ou de se positionner. Et il serait insupportable d’ignorer ces drames quand on aime et qu’on respecte les femmes. Elles nous donnent la vie, puis elles sont souvent plus courageuses que nous. Ce que les hommes sont capables de faire en ce moment, c’est-à-dire des horreurs, les femmes ne l’auraient jamais fait.

Globalement, votre album « Ici-bas » (2021) est engagé. Vous aviez ce besoin viscéral de vous exprimer sur les problématiques sociétales actuelles, sans scénario ?

Effectivement, moi je ne sais pas écrire de scénario. Dans l’écriture scénaristique, il faut avoir le tempérament à ne parler que d’une chose, et ce n’est pas le mien. Je n’ai pas envie d’être obsédé par une seule chose. Il faut aussi avoir un principe de construction, c’est tout un art d’écrire un scénario. Un art compliqué. Et je n’ai pas ce désir là de ne parler que d’une thématique. La chanson permet d’aborder plein de sujets, et de les régler en trois minutes.

Il faut aussi l’énergie de la musique, et c’est ce qui se passe. En général, les gens écoutent d’abord les musiques, et si elles sont percutantes et les emmènent, après ils écoutent l’album en faisant attention aux textes. Donc j’avais des musiques porteuses pour avoir des textes qui soient à la hauteur de dire les choses, et proposer une réflexion sur le constat de l’an 20, puisque cet album s’est fait pendant le confinement. Les problèmes étaient identiques à aujourd’hui, sauf qu’ils se sont encore compliqués, on voit ce qu’il se passe, et ils sont d’une dureté innommable.

En effet, vous ne vous êtes pas limité à une seule thématique. On retrouve d’ailleurs celle de l’hyper-numérisation dans le titre « Ce monde imposé ». Vous vous sentez oppressé par les réseaux sociaux et la vie médiatique ?

La vie médiatique est oppressante mais ce n’est pas un problème. Parce que ça ne m’intéresse pas de lire quoi que ce soit de faux – parce que c’est souvent faux – sur les gens connus. Ça fait exister les réseaux et ça fait vendre des journaux. Donc on est dans la fake news en permanence. Mais je suis surtout inquiet de l’évolution de la technologie. La technologie est formidable, si elle était utilisée à bon escient, ce serait quelque chose de fondamentalement heureux. Mais c’est toujours utilisé ou récupéré par des gens qui ont de mauvais tempéraments. On est devenu un monde de donneurs, d’accusateurs… Un monde différent de celui que j’estime heureux.

Pour généraliser, au final, « Ici-bas » est une ode à l’amour vrai, à l’humanisme. Peut-on dire que vous souhaitez répandre de la bienveillance avec cet album ?

Oui, j’ai souhaité dire aux gens : « Arrêtons d’attendre la décision de certains, qui sont des politiques – ils valent ce qu’ils valent, chacun son histoire, chacun son avis – mais essayons de changer, nous, d’abord ». C’est aussi ce que je dis dans la chanson sur la religion. Il faut s’accepter ; acceptons nous et acceptons l’autre. Il y a un moment où tout ça est une question de cerveau. Il faut avoir un cerveau construit.

Si dans la cours d’école, on ne dit pas aux mômes ce qu’il faut faire dans l’intention de vivre avec les autres dans la fraternité, c’est sûr qu’ils ne l’apprendront pas à la maison, car, souvent, on ne leur apporte plus rien au niveau de l’éducation. Ils pourraient avoir un tempérament à vouloir donner cet avis, et s’il est suivi, on a fait notre travail.

Vous l’avez évoqué plus tôt, en terme de style musical, on retrouve beaucoup de sonorités blues. Un style pouvant s’apparenter à des lamentations joyeuses. Mais aussi du rock, genre ayant pu servir de support à des mouvements sociaux. Cette cohérence dans le son et dans le texte découle-t-elle aussi de votre complicité père-fils ?

Bien sûr. Et les circonstances ont décidé de cet album. Je n’aurais jamais eu l’intention ni la proposition de « faire chanteur » dans un autre contexte, parce que je n’en avais ni l’envie ni la possibilité. Je n’aurais suivi qui que ce soit d’autre que mon fils, parce que j’ai une grande estime de son travail. Je le connais par cœur, pour l’avoir élevé, et je suis fier de lui parce qu’il a compris les valeurs. Mais je suis surtout très fier de son talent, qui est reconnu par tout le monde. Quincy Jones l’a amené aux États-Unis. Tous les bluesmen dont on a besoin peuvent venir des États-Unis ou d’Irlande pour jouer avec lui. Il y a un moment où c’est une vibration en commun, car lui m’estime dans mes mots et moi, je l’estime dans sa musique.

On a donc pu – puisqu’on a un studio de musique qu’on a fabriqué il y a longtemps, et qui s’appelle La Chocolaterie – se réunir et travailler toutes ses heures ensemble avec passion. Au départ, cet album on l’a fait pour nous. On ne savait pas si ça allait marcher ou pas. Finalement il est devenu disque d’or et les gens sont venus aux concerts, sans l’intermédiaire des radios puisque personne ne nous a passé en radio. L’excuse, qu’on peut comprendre même si c’est léger, était qu’un acteur qui chante n’intéresse personne. Je ne suis pas sûr que les milliers de gens devant lesquels on a déjà joué soient d’accord avec ça.

Gérard et Manu Lanvin
© Eric Martin

Vous avez effectivement déjà pu jouer votre album sur scène. Que retenez-vous de ces moments de partage avec le public, qui a découvert une nouvelle facette de vous, mais aussi avec votre fils ?

Ce qui est formidable c’est que je ne savais pas l’incidence qu’on pouvait avoir au niveau de l’amitié avec le public qui vient voir nos films. Parce qu’on n’est pas à la sortie des cinémas et on ne reçoit pas directement les amitiés et les intentions. Sur scène – je ne fais pas de théâtre donc je ne connais pas cette façon de communiquer – tout d’un coup on reçoit cet intérêt. Cette complicité qui naît, partager ensemble ces moments.

Je crois que Manu m’a donné le plus beau des cadeaux. C’est-à-dire une relation avec un public que je ne connaissais pas mais qui, lui, me connaissait. J’étais connu de plein de gens que je ne connaissais pas. Et je les rencontre dans les salles de spectacle et dans les festivals, et c’est magique. On voit à quel point ils sont amicaux, fidèles, et à qu’ils m’ont compris.

Après avoir expérimenté autant de disciplines artistiques et avoir rencontré votre public, vous sentez-vous accompli ?

Je me sens rempli. Accompli, je n’en sais rien. Mais rempli de belles aventures. Faire des milliers de kilomètres dans le camion avec mes potes musiciens, avoir le respect de ces gens-là que j’aime beaucoup, la complicité… Tout ça en plus du parcours cinématographique qui m’a permis d’être crédibilisé auprès des gens, puisque les interviews permettent de s’exprimer. Je me dis que j’ai eu de la chance de pouvoir être compris simplement en tant qu’artiste. Je n’ai jamais trahi personne, j’ai toujours été comme je suis, et c’est admis aujourd’hui. Tandis que le cinéma a du mal à vous admettre dans votre propre identité.

Je ne suis pas sur les réseaux car je pense qu’un acteur n’a pas à vendre sa vie, et le cinéma aujourd’hui, c’est regarder les réseaux pour regarder qui fait le plus de vues. Mais ce n’est pas ça un acteur. Un acteur doit pouvoir jouer n’importe quel personnage, et donc être le plus anonyme possible. Alors on rentre dans un schéma compliqué alors que sur scène, c’est un schéma facile. Les gens qui viennent vous voir payent une place. Et ils ne payent pas pour vous siffler parce qu’il faudrait être maso, et maso, il faut avoir le temps de l’être. L’avantage, c’est de se dire qu’on est rempli. Rempli de l’amitié des autres. Et comme tout ça est aussi un problème d’ego, l’égo est rassuré.

Avec ce projet musical pour lequel vous n’aviez pas ce besoin d’être « anonyme », vous vous êtes donc senti compris plus qu’accompli.

Exactement. Je me suis senti compris et admis. Le moment émotionnel le plus heureux, c’est d’être sur scène avec dix potes derrière, des musiciens que Manu a rencontré, et puis d’avoir mon fils à côté de moi et qui joue sublimement de son instrument : la guitare.

Propos recueillis par Inès Desnot

Altigone
vendredi 24 novembre 2023
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