Dans une rentrée littéraire, l’attention des médias se porte souvent sur de gros romans tapageurs, surfant sur un fait de société ou de « grands sujets » aisément résumables par un « pitch » de dix mots. Le nouveau roman de Dominique Barbéris n’est pas de ces produits marketés et il nous rappelle, à travers le destin d’une femme ordinaire ou presque, que la littérature est d’abord affaire de style. Il n’y a en effet dans Une façon d’aimer rien qui puisse appâter le chaland. Qu’on en juge. Née avant la Seconde Guerre, Madeleine, devenue jeune femme, avait un air de Michèle Morgan. Belle, discrète, élégante, cette Nantaise n’aurait sans doute pas quitté sa province sans la rencontre avec Guy Morand, son futur mari, employé dans une entreprise dont l’activité allait envoyer le couple au Cameroun sous mandat français.
Fin des années cinquante, le processus d’indépendance est en cours. Des tensions et des violences menacent même si la vie demeure paisible pour la petite communauté des Français de Douala. Parmi ceux-ci, le profil d’Yves Prigent, administrateur civil quadragénaire, ne passe pas inaperçu. Madeleine consent à la cour de Prigent, lui concède quelques promenades, des discussions, le plus souvent accompagnée de sa petite fille Sophie.
De l’autre côté du temps
Des décennies plus tard, la narratrice d’Une façon d’aimer, une nièce de Madeleine, se souvient de cette tante plus mystérieuse et secrète que celle qu’elle connût de son vivant. Avec un art pointilliste, sans effets superflus, Dominique Barbéris fait le portrait émouvant d’une femme et, à travers elle, d’une époque, d’une génération disparues.
La romancière de L’Année de l’éducation sentimentale et d’Un dimanche à Ville-d’Avray saisit avec délicatesse la mélancolie que fait naître dans une maison de famille le spectacle « de vieilleries, de matelas pneumatiques, de bicyclettes dégonflées depuis que les enfants sont partis ». Sondant la mémoire des objets, une photographie, une robe, une page sur laquelle est inscrite « En souvenir », elle rend un poignant hommage à ceux passés « de l’autre côté du temps ».