Chaque mercredi, on rend hommage à un grand classique du cinéma. A voir ou à revoir.
Après avoir réalisé avec son comparse Emeric Pressburger des succès devenus des classiques (Colonel Blimp, Le Narcisse noir, Les Chaussons rouges), Michael Powell mit en scène en solo un scénario écrit par Leo Marks, membre éminent de l’espionnage britannique durant la Seconde Guerre. De cette association naquit l’un des films les plus étranges et dérangeants que l’on puisse imaginer. On y suit un jeune homme, Mark Lewis, assistant opérateur dans un studio de cinéma londonien, accessoirement auteur de photographies dénudées ; qui tue des femmes avec une caméra munie d’un stylet afin de filmer la peur dans leur regard…
Dans le laboratoire de développement et l’espace de projection aménagés dans son appartement, Lewis visionne ses « œuvres ». Ce drôle de cinéaste sympathise avec une voisine de son petit immeuble, Helen, à laquelle il confie avoir été, enfant, le cobaye et l’objet d’étude de son père, un scientifique d’un genre particulier qui filmait son fils dans des situations terrorisantes tout en lui inculquant le goût du voyeurisme…
De la saisissante première scène en caméra subjective (Lewis suivant une prostituée et la trucidant en filmant son meurtre) à l’audacieuse histoire d’amour entre Mark et Helen, Le Voyeur ne cesse de bousculer les conventions. Mais c’est surtout l’empathie suscitée par ce tueur – interprété par l’angélique Karlheinz Böhm, partenaire de Romy Schneider dans Sissi – présenté comme une victime (de son père, de ses pulsions) qui donne au film sa charge subversive.
Obsession
Stylisée à l’extrême, la mise en scène de Powell use de surimpressions ; multiplie les angles de prises de vue ; joue sur les contrastes entre les couleurs (parfois explosives ou saturées) et les lumières, utilise le noir et blanc, accumule les mises en abîme. Réflexion sur le cinéma, le regard, le pouvoir des images et le voyeurisme du spectateur, Le Voyeur transcende le récit d’une obsession criminelle pour raconter la tragédie d’un homme qui voulait ne faire qu’un avec l’image et l’écran. Sorti en même temps que Psychose d’Hitchcock, qui présente un tueur monstrueux et donc « rassurant », le film de Powell choqua tellement et fit scandale au point que sa diffusion en fut sabordée.
Accueil souvent réservé aux œuvres en avance sur leur temps, ce qu’était Le Voyeur montrant ce que l’on n’appelait pas encore des snuff movies et anticipant la vague des films autour des serial killers – qu’il s’agisse des slashers ou du giallo. De fait, il eut une influence considérable à la fois sur ces genres que sur des cinéastes comme Dario Argento, David Cronenberg et bien sûr Brian De Palma. Quant à Martin Scorsese, grand admirateur de Powell, il déclara : « J’ai toujours pensé qu’avec Le Voyeur et Huit et demi de Fellini, tout ce qu’on pouvait dire sur le cinéma était dit, sur le processus cinématographique, sur son objectivité et sa subjectivité et sur la confusion qui règne entre les deux. »
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