Après déjà trois albums en trois ans, Specy Men ne perd pas le rythme avec un quatrième projet à sortir le 2 juin prochain : « Insortables ». Le rappeur toulousain met ici l’accent sur son âme de rockeur, sa relation avec la gente féminine, ainsi que la pluralité de ses capacités vocales. Rencontre avec l’artiste à la voix joliment abîmée.
Culture 31 : « Dernière tentative », titre qui t’a en partie fait connaître, accumule désormais 12 millions de vue sur YouTube, et cela sans clip. Que représente ce chiffre pour toi ?
Specy Men : Déjà, c’est un chiffre auquel on ne s’attendait pas du tout ! Initialement, c’est un morceau qui ne devait même pas sortir. Une fois, je n’avais rien enregistré et j’avais écrit ce texte pour un freestyle sur Instagram qui avait relativement bien marché. Je suis allé voir Karim (son manager, producteur, éditeur et responsable du Centre des arts urbains, ndlr) et je lui ai dit « j’ai un morceau à te faire écouter, on voit si ça te plaît ou pas ». Il m’a répondu « est-ce que t’es vraiment sérieux là ? ». Je lui ai dit « je crois » et on l’a enregistré, on l’a balancé, et il s’est retrouvé sur TikTok.
J’avais demandé à une pote d’en faire un petit TikTok et ça a pris une ampleur à laquelle je ne m’attendais pas du tout mais qui m’a fait énormément plaisir. C’est un honneur de pouvoir dire que j’ai un morceau à 12 millions de vues sans clip.
Tu as fait un live au festival Garorock en 2022. Quel souvenir en gardes-tu ?
Garorock, c’est mon premier rappel ! Ludo, qui nous a programmé là-bas et qui est le fondateur de Garorock, c’est un gars avec qui on s’est bien entendus dès le départ. Il est venu au studio, on lui a fait écouter trois morceaux et il a accroché direct. Il nous a dit « je vous propose d’abord Garosnow », la partie du festival qui se fait à Luchon à ce moment-là. Et c’était très cool ! En fonction de la prestation qu’on allait donner, il allait aviser ensuite avec son équipe pour nous placer sur Garorock. Et ça l’a fait ! À partir de là, j’ai fait ma prestation, et en partant, j’ai eu droit à mon premier rappel, et c’est un honneur d’avoir un rappel sur scène même, si je n’ai pas pu le faire pour une question de timing. Se sentir désiré par le public, dans le principe, c’est incroyable !
Prochain évènement notable. Un passage dans l’émission « Planète Rap », animée par Fred Musa, est prévu le 2 juin, jour de la sortie de ton album « Insortables ». Comment appréhendes-tu ce moment ? Impatient, stressé ?
Je suis plus impatient que stressé ! C’est un truc que j’ai toujours voulu faire depuis gosse. J’ai grandi avec une culture rap à l’ancienne donc j’ai commencé avec des émissions comme ça ; le Cutkiller Show ou même le Deenastyle sur Radio Nova. Du coup c’est un honneur, un honneur de dingue ! À un moment donné, je vais pouvoir me voir en vidéo, et ma mère va pouvoir allumer la radio et entendre son fils sur Skyrock, c’est un truc de fou !
C’est une fierté pour mes parents et pour mon manager aussi, car c’est en partie grâce à Karim. Lui et Fred Musa se connaissent bien. J’ai déjà pu rencontrer Fred aussi, et on a eu un bon relationnel. On a pu discuter musique et ainsi de suite. Du coup, je n’ai pas l’impression d’arriver en terre inconnue. J’ai l’impression de mettre les pieds dans un endroit qui, indirectement, m’est familier. Je serai à l’aise et content d’y être.
Dans ton nouveau projet, tu fais beaucoup référence au rock, allant jusqu’à dire « je suis pas un rappeur, je suis un rockeur ». Dans une autre vie, aurais-tu aimé être une rockstar des années 70 ?
Je suis né à la mauvaise époque ! C’est comme ça, je n’ai pas choisi. Quand je dis ça, c’est aussi un clin d’œil à mon père qui m’a fait grandir avec beaucoup de rock. J’ai grandi là-dedans, j’ai été bercé avec du Led Zeppelin, The Doors, etc. En fait, quand on voyageait, les trajets en voiture ne tournaient qu’à ça. Moi-même, je m’y suis intéressé. Et mon rêve, ça aurait été d’être un artiste Woodstock, de partager une scène avec Janis Joplin ! Mon deuxième rêve aurait été de naître à une époque juste après, pour pouvoir être artiste en 1995, parce que j’aurais tout pété en Boom bap ! Mais je suis né à notre époque et je sais m’adapter, je suis fier de ce que je fais, et on va tout péter maintenant ! Le rap, c’est le nouveau rock, chaque musique a son ère.
L’album déroule également le récit d’une relation amoureuse. Dans « Mélodie », tu dis notamment « heureusement il y a de la mélodie ». Doit-on y voir un double sens ?
Quand je dis « heureusement il y a de la mélodie », je parle plutôt de mon développement dans la musique. C’est justement un morceau qui fait un peu abstraction de la partie relation amoureuse, romantique, etc. Je me mets dans la peau de n’importe quel artiste qui, quand il se développe et se professionnalise, prend conscience de tous les enjeux que ça représente, de tous les risques que ça comprend. Je dis que tout ça, c’est dur, c’est compliqué, c’est très brut, mais heureusement il y a de la mélodie. C’est une déclaration d’amour à la musique.
Le morceau « X », lui, est en quelque sorte l’Ovni de l’album avec ses sonorités électro des années 80-90. Quelles ont été tes influences pour ce titre ?
Aucune ! J’ai eu une période où j’écoutais AVAION, qui fait de la house, et j’ai montré ça à Karim. Après on écoutait plus que ça en voiture ! Et je lui ai dit : « viens on fait un morceau comme ça, juste pour rigoler ». Il m’a répondu : « T’es sûr Hugo ? ». Et je lui ai dit : « laisse moi faire, je vais essayer de concocter un bon petit truc ». J’ai cherché des instrus et je suis tombé sur la bonne, là je topline, et c’est la bonne recette ! C’est parti de ça. Ce morceau est davantage pour la partie concert, les soirées en voiture ou en boîte. Ça sort des morceaux introspectifs qu’on a tendance à écouter seul avec ses écouteurs, tard le soir dans sa chambre ou dans le bus. C’est donc un titre de liberté, même musicalement. J’ai pas envie qu’on classe ma musique. «Insortables», c’est un album de musique.
Dans « Sting », dernier titre de l’album, ta voix passe du tout au tout. On pourrait presque croire que ce sont différentes personnes qui interprètent le texte. Quand as-tu découvert la largeur de ta palette vocale ?
Cet album, c’est la suite logique des trois premiers. Le premier est sorti le 2 juin 2020, le deuxième le 2 juin 2021 et le troisième le 2 juin 2022. C’est pas pour rien. C’est une suite logique, c’est un seul et grand album de quatre projets différents, avec 53 titres en tout. Donc je voulais finir sur une note un peu plus sombre, un peu plus lugubre, pour annoncer et amortir la suite. En ce qui concerne les palettes de voix, c’est juste que j’ai toujours été apprécié, en partie, pour ma voix particulière, à double tranchant. Et je voulais l’exploiter à fond sur ce morceau par rapport aux gens qui m’ont connu avec « Dernière tentative » où ma voix est très rocailleuse, très abîmée. Dans l’interprétation et la voix déchirée, c’est un gros clin d’œil à ce titre là.
Enfin, si tu pouvais dire un mot au Specy Men déjà passionné de rap qui écrivait des poèmes au collège, que lui dirais-tu ?
T’as bien fait de croire en toi.
Propos recueillis par Inès Desnot