Chaque semaine, on vous invite à lire une nouveauté, un classique ou un livre injustement méconnu.
Chez Jean d’Ormesson (1925-2017), nombre de titres de ses livres avaient des allures d’ultime confession : C’était bien, Un jour je m’en irai sans avoir tout dit… L’un de ses derniers publiés de son vivant en 2016, Je dirai malgré tout que cette vie fut belle (un vers d’Aragon, comme souvent), ne dérogea pas à la règle.
Sous la forme d’un dialogue, ou plutôt d’un interrogatoire, entre d’Ormesson et lui-même, l’auteur de La Gloire de l’Empire et de La Douane de mer y déroule les grands et petits événements d’une existence riche en rencontres, en joies, en peines, en réussites et en échecs (plus rares). Un siècle défile sur les pas de celui qui naquit entre la première Guerre mondiale et la crise de 1929, qui fut adolescent lors de la Seconde guerre et de l’Occupation. Une histoire française prend place dans les pages, celle de sa famille et de son milieu. De son enfance, Jean d’Ormesson, « né avec une cuillère d’or dans la bouche », se souvient de la vie en Allemagne ou au Brésil dans les malles d’un père diplomate.
Suivent des épisodes plus ou moins connus : le château familial de Saint-Fargeau, l’entrée à l’École normale, l’Unesco, les débuts discrets d’écrivain chez Julliard, l’arrivée chez Gallimard et la parution de La Gloire de l’Empire, l’élection à l’Académie française, la direction du Figaro… L’écrivain s’attarde ou accélère, pratique avec le même bonheur la digression et l’ellipse. Il convoque ses chers poètes, les femmes de sa vie, trousse de beaux portraits : Emmanuel Berl, Paul Morand, Michel Mohrt, Aragon, Raymond Aron, Maurice Druon, François Mitterrand, François Nourissier…
Passions du cœur
L’inquiétude d’ailleurs n’est pas absente chez l’auteur de Voyez comme on danse et Une Fête en larmes (deux livres à redécouvrir dans sa bibliographie) qui sut très tôt que « l’histoire se chargeait avec une rigueur impitoyable non seulement de préparer du nouveau, mais de réduire à néant tout ce passé éphémère qui se confondait avec nous. » Ce n’est pas une raison d’offrir prise à la mélancolie. Mieux vaut célébrer l’eau, la lumière, le temps, l’espérance, Dieu.
L’infiniment grand et l’infiniment petit : « J’ai aimé le soleil, la lumière, la mer – la Méditerranée, surtout, notre mer intérieure –, le ski au printemps, les livres, les chats, le cassoulet, les oliviers. J’ai surtout aimé l’amour. Du plus bas au plus haut. Le plaisir, la tendresse, la passion, la folie. Et leurs inépuisables combinaisons. Quand l’amour, le vrai amour, se combine à l’amour, il n’y a rien de plus fort, de plus grand, de plus beau. »
« Oui, j’ai été léger, superficiel, mondain. J’ai aimé rire et m’amuser. Je me suis efforcé de ne pas me prendre au sérieux. Mais j’ai toujours su que le monde et la vie – ou ce théâtre d’ombres que nous appelons le monde et la vie – étaient à prendre au sérieux. J’ai toujours su en secret qu’il y avait, derrière les chagrins et la gaieté, autre chose que le plaisir et les divertissements. Et même autre chose que les mots qui m’ont donné tant de bonheur. Et peut-être même autre chose que ces passions du cœur où se mêlent le grave et le frivole et que nous appelons l’amour », confessait-il.
Dans ce florilège foisonnant qu’est Je dirai malgré tout que cette vie fut belle, s’il ne fallait retenir qu’une phrase, ce serait celle-ci : « Il m’était souvent arrivé, le vendredi soir, en sortant de chez Gallimard ou d’ailleurs, avec Jean-François Deniau ou avec d’autres, de prendre ma voiture et de partir pour l’Italie. » Elle dit beaucoup de ce qu’étaient le style et l’art de vivre de d’Ormesson.