Prenant la suite d’une prestigieuse lignée de conservateurs du Musée des Augustins tels que, pour les temps actuels : Denis Milhau, Alain Daguerre de Hureaux, et succédant directement à Axel Hémery parti sous les cieux siennois diriger la Pinacothèque de cette célèbre cité toscane, Laure Dalon a pris ses fonctions le 1er octobre 2022. Empruntant la voie royale du diplôme d’archiviste paléographe (créé en 1849 !) amenant à cette fonction, Laure Dalon revient dans la Ville rose forte également d’une belle expérience.
Directrice des Musées d’Amiens entre 2017 et 2022, elle y a entre autres piloté l’important chantier de rénovation du Musée de Picardie puis la réouverture de ce musée-modèle du XIXe siècle en mars 2020. D’abord élève en classe préparatoire au lycée Pierre de Fermat à Toulouse, elle est diplômée de l’École nationale des Chartes en 2006 où elle a soutenu une thèse consacrée à Antoine Bourdelle et l’enseignement de la sculpture.
Diplômée de l’Institut national du Patrimoine en 2009, elle est nommée la même année conservatrice en charge des collections Beaux-Arts des Musées d’Amiens.
De 2012 à 2017, elle occupe le poste d’adjointe au directeur scientifique de la Réunion des Musées Nationaux – Grand Palais.
Elle a notamment assuré le commissariat d’expositions exceptionnelles telles « Cartier. Le style et l’histoire », « Hokusai » (Paris, Grand Palais) ou « Fantin-Latour. A fleur de peau » (Paris, Musée du Luxembourg), qui ont chacune attiré des milliers de visiteurs.
Rencontre.
Quelle est votre fonction au sein du Musée des Augustins : conservatrice ou directrice, les deux peut-être ?
Oui, les deux effectivement. Mais si mon métier est bien celui de Conservateur du Patrimoine, aujourd’hui je vous réponds en tant que Directrice du Musée des Augustins. Contrairement à ce que le terme « conservateur » peut présupposer, un musée est un lieu très vivant. C’est une activité qui conjugue l’étude intellectuelle et la valorisation des œuvres avec leur gestion matérielle. Il faut non seulement les conserver dans leur intégrité physique mais également les mettre en valeur. Notre mission est de partager nos collections avec le public le plus large. En fait nous sommes surtout des passeurs.
Qu’avez-vous fait dès que vous êtes arrivée au Musée des Augustins ?
Avant de prendre mes fonctions j’ai rencontré collectivement toute l’équipe du Musée. Dès que je suis arrivée j’ai rencontré cette fois individuellement les membres du personnel. Mon métier de Directrice est aussi et surtout celui d’animer l’équipe et d’imprimer une dynamique à l’établissement. Nous sommes au nombre d’une vingtaine tout en sachant que certaines fonctions sont mutualisées au niveau de la Direction des Musées et Monuments de la Ville de Toulouse : je pense notamment à la sécurité et la surveillance, à la gestion des ressources humaines, aux fonctions administratives et financières.
Avez-vous eu le temps à ce jour de faire connaissance avec les réserves du Musée ?
Je les ai plutôt visitées qu’explorées, et pas suffisamment à mon goût. Néanmoins je me suis plongée dans la base de données et les catalogues du Musée : j’y ai découvert de nombreuses œuvres qui pourraient être mises en lumière à l’avenir. Ce sont des explorations que l’on mène avec son bagage scientifique, mais aussi et surtout avec sa sensibilité personnelle.
Pensez-vous modifier le contenu de l’exposition permanente actuelle ?
Oui mais dans le respect de ce qui a été fait précédemment. L’idée n’est pas de révolutionner le parcours permanent, mais d’apporter un regard nouveau, en particulier en termes de dialogue entre les œuvres, et surtout une cohérence d’ensemble d’un bout à l’autre de la visite. C’est une volonté que j’impulse mais c’est et ce sera un travail collectif, mené au sein de l’équipe de conservation en lien avec le service des publics.
Budgétairement parlant, quelle est la position de la Ville de Toulouse dont vous dépendez ?
Des moyens importants sont alloués à ce Musée, tant en matière de fonctionnement que d’investissement. Il me faut préciser sur ce point que nous appartenons à la Direction des musées et des monuments de la Ville de Toulouse. Les budgets sont arbitrés et répartis à l’échelle de cette direction. Ce que je peux vous dire c’est que j’observe, depuis mon arrivée, une véritable écoute de la part de la direction générale et des élus de la Ville de Toulouse. Je sais aussi qu’ils ont, légitimement, des attentes fortes en vue de la réouverture du musée.
Allez-vous développer encore plus dans ce musée une politique de médiation ?
Oui, bien sûr, d’autant que nous avons déjà ici, en charge de ces questions, une équipe très dynamique depuis de nombreuses années. Elle a expérimenté beaucoup de choses avant la fermeture pour travaux du Musée. Aujourd’hui nous faisons le bilan de ce qui a été fait et engagé. Nous discutons sur la poursuite de certains partenariats afin de déterminer ce que nous allons prioriser. Dans une certaine forme de continuité, nous allons nous ouvrir à d’autres partenaires. Ce qui devrait nous amener, tout en nous appuyant sur ce qui existe aujourd’hui, à essayer de parler autrement des œuvres à nos visiteurs : médiation écrite en particulier, création d’un parcours sensoriel, etc.
Notre défi, dans un tel musée, est celui de répondre aux attentes d’un public connaisseur tout en donnant des clés de compréhension au plus grand nombre, afin que nul ne se trouve démuni devant une œuvre. Nous sommes sur un virage qui va nous conduire vers des outils de médiation universels, c’est-à-dire des manières d’appréhender les œuvres qui ne soient pas exclusives par exemple d’un handicap mais s’adressant à tous.
A l’instar des théâtres, pouvez-vous mutualiser des événements ?
Oui bien sûr et d’ailleurs mon prédécesseur l’avait fait avec l’exposition Théodule Ribot réalisée en coproduction avec les musées de Caen et Marseille. Nous partageons les frais de transport des œuvres qui sont très importants, entre autres choses. Ce sont des partenariats que l’on recherche non seulement pour des raisons financières mais aussi pour des objectifs de visibilité. Ces coproductions peuvent largement s’étendre au national et à l’international. Dès la réouverture du musée en 2025, ce sera un angle fort de recherche.
Et en termes de mécénat ?
Les collectivités ne pouvant suivre financièrement tous les projets que nous souhaitons développer, le mécénat prend sur ce thème de plus en plus d’importance. La recherche de mécènes nous est demandée aujourd’hui de manière plus pressante qu’avant. Dans les musées nationaux, il existe des services spécifiques à cette recherche éminemment chronophage. Ici comme dans d’autres structures régionales ce n’est pas le cas. D’autant que cette activité suppose ensuite de l’entretien, des rencontres, etc. Le réseau des Cercles de mécènes est un outil pour nous extrêmement précieux. En fait le mécénat est souvent une affaire intuitu personae. Au Musée des Augustins nous avons un Cercle de mécènes qui s’adresse plus particulièrement aux entreprises.
En parallèle il existe une Association des Amis du Musée des Augustins susceptible de collecter des fonds pour le musée au travers de dons de personnes physiques. Il y a aussi des mécènes individuels qui souhaitent soutenir par exemple une exposition, une acquisition ou une restauration. Notre difficulté est de trouver le temps pour aller à la rencontre de tous ces possibles mécènes ou donateurs. La fiscalité particulièrement avantageuse en France en la matière reste en tous les cas un levier précieux.
Juste deux mots sur la réouverture du Musée
A ce jour, c’est le premier semestre 2025 qui est en perspective. Un certain nombre de chantiers ont déjà été menés en interne, mais les travaux les plus importants débuteront dans les mois qui viennent. Les plus visibles, pour les Toulousains, seront les travaux sur la nouvelle entrée rue de Metz dès cet été avec la préparation des fondations du nouvel accueil et les fouilles archéologiques. On enchaînera avec la restauration du grand cloître. Je réfléchis déjà aux événements qui accompagneront notre grande réouverture : une exposition, une installation ou le prêt d’œuvres particulières. Le champ des possibles est encore vaste.
Avant cette réouverture, envisagez-vous une manifestation ?
Nous travaillons aujourd’hui sur une réouverture partielle du cloître et de l’église cet été : un temps exceptionnel qui accompagnera le début des travaux du nouvel accueil rue de Metz. Le parcours que nous proposerons dans l’église mettra en valeur la place qu’occupent le Musée et ses collections dans la ville de Toulouse. Il sera accompagné par une communication et une médiation originale et ludique.
Vos passions culturelles ?
Où que j’aille, j’adore visiter les musées, regarder et admirer les œuvres exposées. Je suis arrivée à l’histoire de l’art en tombant amoureuse des sculptures. Leur dimension matérielle et formidablement sensuelle m’attire toujours beaucoup. En matière d’arts visuels, toutes les périodes m’intéressent et j’aime beaucoup découvrir de nouveaux artistes. Je m’accorde aussi du temps pour la lecture car je trouve ce temps-là très nourrissant. Sans oublier le cinéma. Dans un autre registre, j’adore marcher dans la campagne ou la montagne : les grands espaces sont ressourçant !
Une dernière question, pourquoi avoir dit oui à Toulouse ?
C’est un magnifique challenge que d’écrire avec l’équipe une nouvelle page dans l’histoire de ce grand musée. Apporter aussi un nouveau regard tout en rendant hommage au travail précédemment effectué depuis si longtemps. Le musée est l’un des rares lieux où l’on peut tenter de comprendre le monde dans lequel on vit aujourd’hui. La valeur esthétique d’une œuvre m’intéresse bien évidemment, mais, avec la même intensité, c’est ce qu‘elle nous raconte de l’Histoire qui me passionne. Qui nous sommes ? Où allons-nous ?
Le musée est un lieu unique relié à tous les grands questionnements contemporains. Alors, pour revenir à votre question, pourquoi Toulouse ? J’étais très bien à Amiens, mais voilà, ma famille est du Sud-Ouest et cela fait longtemps que je suis partie. Lorsque j’ai appris la vacance du poste aux Augustins j’ai eu une sorte d’électrochoc ! Pour tout vous dire, mes trois ans d’études à Toulouse sont ancrés dans mon souvenir de manière très forte car je pense qu’ils ont contribué à construire l’adulte que je suis aujourd’hui.
Propos recueillis par Robert Pénavayre