La délégation de Francis Grass est pour le moins plurielle. De la coordination des politiques culturelles et mémorielles au mécénat, son champ d’action est très vaste : le Théâtre, la Musique, les Bibliothèques, les Musées, le Cirque, la Culture scientifique, les Arts plastiques, la Formation artistique, les Archives, etc. Que ce soit au sein de la Ville de Toulouse ou de la Métropole toulousaine, depuis 2014 son action est essentielle dans tous les domaines de la Culture au sens le plus large du terme, scientifique inclus.
Culture 31 : Quelles sont vos responsabilités et votre champ d’activité dans le domaine culturel ? Depuis quand ?
Francis Grass : J’exerce cette délégation depuis 8 ans et demi. Le rôle des élus, en accord avec le Maire/Président de la métropole, est de définir, dans leur domaine, les orientations générales. Les Services apportent leur compétence, leurs conseils, et mettent en œuvre ces orientations.
Quelle est pour vous la définition actuelle de la Culture ?
Le mot Culture a un double sens. D’ailleurs en allemand, il y a deux mots, Bildung, et Kultur. Le premier sens concerne l’expression artistique. Le deuxième regroupe les connaissances, d’un individu, ou d’un groupe, d’un peuple…. Dans l’un on retrouve le spectacle vivant et toute forme de création artistique. Dans l’autre on retrouve les moyens de diffusion des connaissances comme la lecture publique ou les musées, sans oublier les établissements de formation artistique : Conservatoire, ISDAT.
Peut-on considérer les Collectivités locales comme de véritables mécènes de la Culture aujourd’hui ?
Non, dans la terminologie française. Le mécène donne de l’argent à caractère privé au bénéfice d’une activité d’intérêt général, culturelle, sociale ou autre, et n’en attend pas de contrepartie autre que l’image. Par définition, la Collectivité donne de l’argent public pour des activités dites de service public. C’est le cas d’une grande partie de la Culture. C’est le cas des musées, des bibliothèques, de l’Opéra et de l’Orchestre du Capitole, des théâtres, des festivals, et des actions de très nombreuses associations. Il y en a plus de 300 à Toulouse. Ainsi le financement de la Culture est réparti entre l’usager et la Collectivité ajoute un financement venant du contribuable.
A Toulouse, les recettes représentent entre 15 et 20% des coûts de la Culture. La part publique est donc de 80 à 85%, à 90% portée par la Ville de Toulouse et Toulouse Métropole. Le Mécénat apporte moins de 1%.
Certains domaines culturels ne font pas appel au financement de la Collectivité, comme les grands concerts (Zénith) ou le Cinéma (hors Cinémathèque).
Dans beaucoup d’autres pays la part de l’usager et du mécénat est plus importante qu’en France, avec des niveaux d’impôts plus faibles.
Parlez-nous de votre politique culturelle
Comme évoqué précédemment, la Culture couvre l’art et la Connaissance. Un deuxième point très important est que notre politique s’adresse à tous les citoyens, et non à un public limité. Mais au-delà, il s’agit de les faire participer, c’est le cas des pratiques amateur et de tous les dispositifs interactifs dans la Culture scientifique ou les musées. Un troisième volet majeur concerne l’approche territoriale. Les établissements culturels ou les actions, doivent toucher tous les quartiers de Toulouse, pas seulement le centre, ou toutes les communes autour de Toulouse.
Enfin, vous savez que la Culture à Toulouse est d’une extraordinaire diversité. Plutôt que de supprimer des activités, nous assumons cette diversité, qui contribue beaucoup à l’attractivité de Toulouse, et à son art de vivre.
Cette diversité nuit un peu à la visibilité de Toulouse en matière culturelle. C’est pourquoi, nous avons initié de grandes expositions. Je pense à La Dame à la licorne il y a un an, à celle autour de Niki de Saint Phalle en ce moment. Vont suivre aux Abattoirs une exposition Giacometti ainsi qu’une grande exposition sur les Cathares aux Jacobins. Comment ne pas citer également ce formidable spectacle intitulé Le Gardien du temple qui a réuni à Toulouse près d’1 million de personnes et qui a rayonné dans le monde entier. Le Minotaure est désormais un marqueur de Toulouse, et nous préparons un nouvel opéra urbain.
Dans le domaine artistique, la diffusion de spectacles vivants a une place importante, qu’ils soient musicaux, de théâtre ou de danse par exemple. Mais en complément, nous soutenons la création dans tous ces domaines, ainsi que les artistes émergents, et les jeunes compagnies. C’est par exemple le rôle du Metronum dans les musiques actuelles, ou à l’Atelier du Théâtre de la Cité, et le CDCN en danse. Le soutien aux jeunes artistes qui se produisent au Metronum est indispensable. Avant tout cela il y a la formation initiale artistique, très soutenue par la Collectivité. Je veux parler ici du Conservatoire (musique, danse, théâtre), de l’Institut Supérieur des Arts de Toulouse (ISDAT) pour les arts plastiques, musique et danse, le Lido, école supérieure de Cirque, etc.
Dans le champ de la connaissance, il y a un grand domaine : la lecture publique. La Ville de Toulouse est la ville française qui a le plus de bibliothèques parmi toutes les grandes villes. Ceci est un point très important. L’accès à la lecture pour tous se fait par les bibliothèques de quartier. De la première bd aux auteurs les plus importants, la voie est ouverte et tout le monde s’accorde pour en reconnaître l’importance. Ce secteur emploie 400 personnes !
L’univers des musées à Toulouse va de l’archéologie à l’art moderne et contemporain. La culture scientifique au travers du Muséum, de la Cité de l’Espace, du Quai des Savoirs, de l’Envol des Pionniers, et Aéroscopia a pour mission de rendre la science et la technologie accessibles au plus grand nombre. Sans oublier bien sûr les nombreux monuments de Toulouse qui racontent aussi son histoire. A ce titre je veux souligner la restauration de la chapelle Saint Joseph de la Grave qui propose depuis maintenant deux mois un vrai parcours historique de cet hôpital.
Quels sont les lieux à votre disposition ?
Le Théâtre du Capitole, la Halle aux grains, le Zénith, le Metronum, les Abattoirs, les Centres culturels de quartier, le Musée des Augustins et le cloitre des Jacobins, la Galerie du Château d’eau, Saint Pierre des Cuisines, Saint Sernin, le Muséum, ceux-là nous les gérons directement. Mais aussi, tout en les soutenant, nous mettons à disposition de nombreux autres sites : les théâtres de la Cité, Sorano, Garonne, du Pavé, l’Envol des pionniers, la Halle de la machine, la Cité de l’espace, Aéroscopia, sans oublier la Cinémathèque.
Quels sont les acteurs de votre politique culturelle, internes ou externes ?
Les acteurs internes (1800 salariés, artistes, techniques, administratifs) ce sont nos différentes directions : développement culturel, musées, culture scientifique, archives… Nous avons des acteurs internes autonomes comme le Metronum, et le tout nouvel établissement du Capitole. Il y a donc aussi des acteurs externes auxquels nous déléguons l’action culturelle. C’est le cas des délégations de service public (Zénith, Cité de l’espace et Envol des Pionniers, La Machine, Aéroscopia). Enfin, nous soutenons dans ce cadre-là plus de 300 associations de toute dimension, des compagnies de danse, de théâtre, etc., des festivals de cinéma.
Quels sont les budgets que vous allouez à cette politique ?
Entre Toulouse et la Métropole, nous sommes autour de 130 millions. Il faut souligner que la moyenne des villes françaises s’élève à 150€ par habitant pour la Culture. Toulouse est au double ! La moyenne des Régions et des Départements avoisine les 20€. Conclusion, la Culture en France est financée en presque totalité par les villes et les métropoles. A Paris, l’Etat intervient de manière plus massive. Il paie en Régions 13€ par habitant contre 130€ à Paris. C’est vrai qu’il faut tenir compte d’établissements de prestige comme l’Opéra de Paris, le Louvre, etc.
Quel avenir pour cette politique ?
Il va falloir être très vigilant car la crise Covid a fortement impacté la Culture au niveau du public. Mais progressivement le public revient, même si ce n’est jamais gagné. Certes le Théâtre du Capitole a vite refait salle comble, cela a été plus lent pour le théâtre, le cinéma et certains concerts. Ce dont nous nous apercevons c’est d’un basculement massif dans le numérique sur les musiques et l’audiovisuel. Puis, ne nous leurrons pas, nous sommes entrés dans une période de forte tension économique. Comme dans toutes les activités, nous sommes confrontés à une hausse vertigineuse des coûts d’énergie. La Culture est vulnérable, car il y a toujours des gens pour penser qu’elle n’est pas essentielle. Mais je suis personnellement convaincu que nous avons besoin de culture. Nous maintenons nos subventions, mais nous allons devoir collectivement nous mobiliser pour adapter nos activités dans ce contexte difficile…
De quelle manière encouragez-vous le mécénat ?
Même si le mécénat est une part marginale du financement de la Culture, nous l’avons vu, il nous permet souvent de financer des projets que nous ne pourrions envisager. Par exemple pour des équipements de médiation numériques des Jacobins et du musée Saint Raymond. On a ainsi pu faire des installations de réalité augmentée qui enrichissent le parcours du visiteur en le rendant interactif. Je constate qu’aujourd’hui le mécénat se développe dans l’environnement. La prise de conscience climatique est là. A ce titre, nous allons planter des arbres sur la Piste des géants afin de créer une mini-forêt urbaine, des entreprises vont nous soutenir pour le faire. Il y a beaucoup aussi de mécénat social, par exemple le projet musical DEMOS dont nous relançons la seconde édition pour les trois ans à venir devant le succès de la première. J’ai été Président d’Aïda pendant 18 ans, ce qui m’a permis de voir le mécénat côté entreprise.
Je peux dire ici que le mécénat vu de de ce côté-là ce n‘est pas que de l’argent. L’entreprise est un corps social et à ce titre, le responsable de cette structure peut souhaiter sensibiliser ses salariés à une discipline artistique ou environnementale dans le cadre d’une action interne. Cela permet d’ancrer une entreprise dans son territoire. Qu’une entreprise soit nationale ou internationale il est important qu’elle ait un ancrage local. Un dernier point sur ce sujet, c’est le développement depuis quelques années du mécénat de compétence qui est une très bonne formule pour impliquer le salarié en direct. Pour encourager le mécénat il nous faut tout d’abord communiquer sur nos projets. C’est capital. Ainsi nous allons vers les acteurs économiques, pour aussi comprendre leurs attentes. Une fois que l’entreprise s’est décidée, nous menons des actions conjointes qui peuvent prendre la forme de visites pour ses salariés, l’organisation de conférences, etc. Nous organisons régulièrement des rencontres avec nos mécènes et ceux qui peuvent le devenir.
Qu’en est-il de ce véritable serpent de mer qu’est devenu l’auditorium de la Prison Saint Michel ?
Jean-Luc Moudenc en a parlé récemment. Je reprends simplement ses propos. La Préfecture a lancé un appel à projet qui, quoi qu’il en soit, doit comporter une partie auditorium. Dans notre idée, le projet n’est pas du tout abandonné, car notre orchestre, un des seuls en France ayant un rayonnement international, mérite un auditorium moderne. A Saint Michel ou ailleurs !
Plus globalement quels sont vos projets en matière culturelle ?
Le grand projet à venir se situe à La Grave. C’est un projet de grande envergure auquel nous travaillons, mais c’est l’Hôpital qui est encore propriétaire de ce lieu. Ensuite il faut un projet d’aménagement et de financement, et cela n’est pas encore calé. Cela va prendre du temps. Mais il y a des projets plus immédiats dans leur réalisation : la réouverture des Augustins se fera en 2025. Cette nouvelle entrée sera un grand évènement pour Toulouse. Par ailleurs nous avons lancé l’agrandissement du Château d’eau, la restauration de la maison Giscard, haut lieu de la terre cuite toulousaine, le réaménagement de la Cinémathèque. Et enfin, à Croix de Pierre nous refaisons complètement le Théâtre de la Digue. C’est un endroit de création très important pour toutes les compagnies toulousaines ou extérieures qui ont besoin de lieu de travail.
Propos recueillis par Robert Pénavayre