Chaque semaine, on vous invite à lire une nouveauté, un classique ou un livre injustement méconnu.
Alors que Le château de Barbe-Bleue, dernier volume de la trilogie romanesque intitulée Terra Alta, vient de sortir ce 5 avril ; on peut découvrir ou redécouvrir un roman moins connu de Javier Cercas, en l’occurrence son deuxième, A la vitesse de la lumière, qui succédait en 2006 au succès mondial des Soldats de Salamine. Comme dans sa stupéfiante évocation de la guerre d’Espagne, l’écrivain se mettait en scène à travers un narrateur épousant son identité.
On découvre ainsi les premiers pas de Cercas à Urbana, petite ville du Middle West où il passa deux ans à la fin des années quatre-vingt, comme professeur assistant d’espagnol. Là, il se lie d’amitié avec l’un de ses collègues, le taciturne et mystérieux Rodney Falk. Entre le vétéran du Vietnam et le jeune Espagnol, l’amour de la littérature va servir de sésame. Et dans des conversations où chacun découvre l’autre, l’ami américain dispense ses conseils et avertissements à l’apprenti écrivain tenté par ce « sale métier » : « Dans un roman, ce qui n’est pas raconté est beaucoup plus important que ce qu’il l’est », « L’artiste est celui qui rend visible ce qui est déjà visible et que tout le monde regarde et que personne ne peut ou ne sait ou ne veut voir »… Le plus important : se méfier du succès, qui est à la fois une obscénité, un désastre et une humiliation.
L’écriture pour évoquer la vie
Un jour, Rodney disparaît. Le jeune Espagnol rentre au pays et les choses s’accélèrent. Professeur et chroniqueur dans un journal de Barcelone, il se marie, a un enfant et publie des livres jusqu’à ce que l’un d’eux, s’attachant à un épisode de la guerre civile, ne devienne un best-seller. Les rêves de triomphe sont devenus réalité et, peu après, Rodney ressurgit dans sa vie… On ne dévoilera pas les nombreux épisodes et rebondissements qui jalonnent ce roman aussi dense que trépidant. Pas dupe de ses tours de virtuose, Cercas préfère peindre les êtres et leurs sentiments en profondeur tout en préservant une part de mystère.
De sa première phrase à la dernière (sidérante de culot), À la vitesse de la lumière n’est qu’un acte de foi dans le roman et l’écriture : « on ne peut écrire que lorsqu’on est comme mort, qu’on n’a plus que l’écriture pour évoquer la vie, que c’est le dernier cordon qui nous relie à la vie. » Écrire pour se protéger de la réalité, pour réconcilier les vivants et les disparus, pour « rendre le passé réversible et ressusciter les morts » : Javier Cercas ne cesse de s’y atteler dans ce très beau roman, « un roman faux mais plus réel que s’il était vrai ».