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« Gare centrale » de Youssef Chahine

by Léa Vergès

Chaque mercredi, on rend hommage à un grand classique du cinéma. A voir ou à revoir.

C’est une micro-société que décrit Youssef Chahine à travers la gare centrale du Caire le temps d’une journée. Dans le film, réalisé en 1958, du plus grand réalisateur égyptien, on croise des travailleurs, des patrons, des voyageurs, des familles, des gens de peu semblables à ceux qu’a décrits Albert Cossery dans son roman Mendiants et orgueilleux paru trois ans plus tôt. Parmi ce petit peuple cairote mis en scène par Chahine, on suit plus particulièrement la belle Hanouma, vendeuse à la sauvette de boissons, qui s’apprête à se marier à Abou Serif, bagagiste décidé à créer un syndicat. Mais un étrange personnage, Kenaoui, vendeur de journaux un peu simplet et boiteux, s’est entiché obsessionnellement d’Hanouma qu’il rêve d’épouser. Dans son taudis, Kenaoui collectionne les photos de pin-up qu’il découpe soigneusement tel un fétichiste tandis qu’un tueur en série de femmes sévit dans la ville.

En moins d’une heure et vingt minutes, Yousef Chahine (qui interprète également le personnage de Kenaoui, manière de Quasimodo, avec des réminiscences de Peter Lorre dans M le Maudit) réussit donc à restituer la bouillonnement d’une société et d’un pays en pleine mutation à la tête duquel se trouve Nasser depuis six ans. Influencé par le néoréalisme italien, avec quelques pointes d’expressionnisme, Gare centrale mêle dimension quasi documentaire, chronique sociale, romance, comédie et drame criminel sans jamais céder à la rupture de ton.

Femmes libérées

Hind Rostom (qu’on surnommait alors « la Marilyn Monroe arabe ») éclabousse l’écran de sa sensualité dans un rôle de femme libre, frondeuse, provocante. De plus, la condition féminine est d’ailleurs au cœur du long-métrage à travers une manifestation contre le mariage, des collègues d’Hanouma, de la correction subie par celle-ci de la part de son futur mari, d’une jeune fille amoureuse d’un homme marié, de femmes émancipées dansant sur des musiques occidentales ou de la menace invisible du tueur en série. Au passage, Chahine brocarde les musulmans conservateurs lors d’une scène où une femme hystérique portant un voile couvrant à moitié sa chevelure (la seule femme voilée du film) se fait rabrouer par son mari lui enjoignant de dissimuler son visage.

La frustration sexuelle, symbolisée de façon paroxystique par Kenaoui, imprègne alors Gare centrale, portrait d’une société tiraillée entre la modernité et ses traditions ou pesanteurs. Mais ensuite, au-delà la richesse de son propos le film frappe d’abord par sa mise en scène – de la composition des plans à l’art du montage – qui conféra à donc Chahine une aura internationale.

Christian Authier

Cinéma

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