En rendant hommage aux deux jeunes victimes tombées sous les coups de la Police nationale dans la nuit du 5 au 6 décembre 1986, Rachid Bouchareb continue son inlassable travail de mémoire face aux drames liés au post-colonialisme. Eprouvant mais nécessaire.
La loi Devaquet initiant des réformes profondes dans le fonctionnement des universités entraîna des manifestations d’étudiants mais également de lycéens d’une telle ampleur que Jacques Chirac, alors Premier ministre, décida de son retrait pur et simple. Il accepta la démission de son instigateur dès le 6 décembre 1986. Mais pour deux jeunes issus de l’immigration, ce sera trop tard. L’un, Malik Oussekine, qui avait entamé un cheminement pour devenir prêtre catholique, est tabassé à mort dans la nuit du 5 au 6 décembre 1986. Il va se transformer en symbole de la répression policière en France.
L’autre, Abdel Benyahia, sera tué à bout portant par un policier ivre hors service. Mais voilà, deux morts plus que suspectes au même moment, c’est très embarrassant en termes de communication pour la police. Donc, Abdel va être planqué sous le tapis pendant 48h. Ce meurtre, car il s’agit bien de cela, est encore aujourd’hui peu connu. Et ce n’est pas le moindre des mérites du dernier opus de Rachid Bouchareb que de le mettre ainsi au même niveau que celui de Malik Oussekine.
Amplement incrusté de vidéos authentiques, ce film est un véritable docu-fiction avec pour seul personnage créé de toute pièce celui d’un inspecteur de la Police des Polices, Mattei, incarné par Raphaël Personnaz, un rôle malheureusement peu creusé et dont le seul but est de faire le lien entre les deux affaires. Ce film, militant sans ambages, dénonce autant la violence policière que le mensonge d’Etat, avec des déclarations au Parlement de Charles Pasqua qui font, avec le recul, froid dans le dos. D’autres déclarations, tout aussi authentiques, nous montrent bien la récupération politicienne des pires malheurs.
En fait, ce que nous dit en creux ce réalisateur, c’est que rien n’a changé sous le soleil noir de la République. Pointant du doigt la férocité des trop fameux pelotons de voltigeurs, dissouts après cet « incident », mais recréés sous une autre appellation en…2018 et, il faut le souhaiter, avec une autre discipline, ce film s’attarde avec justesse sur les familles des deux jeunes. Des deux côtés une même douleur, mais vécue différemment. La famille de Malik s’insurge et veut des sanctions. Celle d’Abdel se plonge dans une résilience apeurée. Le relent colonial n’est pas loin… Sauf que le jeune frère d’Abdel ne va pas l’entendre de la même manière.
Les générations se suivent mais… Reda Kateb, Lyna Khoudri, Samir Guesmi entre autres sont d’une justesse de ton qui vous broie littéralement le cœur. Certaines voix s’élèvent pour fustiger l’intérêt de ressusciter une affaire vieille de 40 ans. J’imagine que ce sont les mêmes qui font à l’identique pour les films retraçant la Shoa et le IIIème Reich. A chacun son combat.
Dans tous les cas, le film sous rubrique est d’une nécessité absolue. Afin que nul n’oublie.