Chaque semaine, on rend hommage à un grand classique du cinéma. A voir ou à revoir.
Le comédien britannique Charles Laughton – vu notamment dans La Taverne de la Jamaïque et Le Procès Paradine d’Hitchcock – n’a réalisé qu’un seul film (comme Marlon Brando ou Frank Sinatra), mais quel film… Car si La Nuit du chasseur fut un échec lors de sa sortie en 1955, il est devenu une œuvre culte dont certains motifs se sont ancrés dans la culture populaire. Cosigné par Laughton et l’écrivain James Agee d’après un roman de Davis Grubb, le scénario met en scène dans la Virginie-Occidentale des années 1930 un faux prêtre qui épouse des veuves avant de les trucider.
Arrêté pour un simple vol de voiture, le révérend Harry Powell rencontre en prison Ben Harper, condamné à mort pour un braquage sanglant au cours duquel il a raflé 10 000 dollars. Ce dernier, avant d’être arrêté, a confié à son jeune fils John le magot qui va être dissimulé dans la poupée de sa sœur Pearl. N’ayant pu faire avouer à son compagnon de cellule où il avait caché l’argent, Powell, une fois libéré, va retrouver la famille Harper, épouser la veuve et chercher le butin.
La Nuit du chasseur est l’histoire d’un envoûtement, celui exercé par le révérend Powell incarnant « la beauté du diable » à laquelle les enfants John et Pearl vont échapper – dans tous les sens du terme. L’un des sommets du film est ainsi leur fuite en barque sur une rivière la nuit, sous le regard d’animaux de la forêt, périple presque onirique au bout duquel ils seront recueillis par une vieille femme (Lilian Gish) qui les protègera du tueur psychopathe.
Conte gothique
Dans le rôle de Powell, Robert Mitchum signe l’une de ses plus fortes compositions. Charismatique, séducteur, grandiloquent, terrifiant, grotesque : il s’illustre dans tous les registres et campe un inoubliable croquemitaine dont les « talents » s’illustrent lors de la scène mythique où il disserte sur le combat entre l’amour et la haine (les lettres des mots « love » et « hate » étant tatoués sur ses phalanges).
Sublimé par le noir et blanc du grand chef opérateur Stanley Cortez (responsable notamment de la photographie de La Splendeur des Amberson de Welles), La Nuit du chasseur joue magnifiquement avec les ombres, s’inspire de l’expressionnisme allemand, mais délivre des images – comme celle d’un cadavre au fond d’une rivière – qui n’appartiennent qu’à ce conte gothique empruntant au film noir tout en flirtant avec le fantastique et le western. Malgré son happy end un peu artificiel, le film de Charles Laughton a conféré à la fin de l’innocence et aux peurs primitives une puissance poétique exceptionnelle.