Chaque mercredi, on rend hommage à un grand classique du cinéma. A voir ou à revoir.
Dernière œuvre de Chaplin mettant en scène Charlot, Les Temps modernes, sorti en 1936, est quasiment un film muet, témoignant ainsi de la réticence du cinéaste à s’adapter au parlant. Il n’en est pas moins l’une des grandes réussites de Charlie Chaplin et ses scènes d’ouverture, mettant en scène un brave ouvrier face au taylorisme et à l’organisation dite « scientifique » du travail, sont entrées dans l’Histoire. Employés surveillés par des écrans, travail à la chaîne soumis à des cadences infernales, mécanisation et déshumanisation : Les Temps modernes est une critique drolatique du capitalisme industriel de son époque, mais se fait aussi visionnaire par son imagination satirique.
A la même époque, George Orwell écrit en écho dans Le Quai de Wigan que « la pente naturelle de la machine consiste à rendre impossible toute vie humaine authentique » et la comédie de Chaplin anticipe, à sa manière, La France contre les robots de Georges Bernanos et L’Obsolescence de l’homme de Gunther Anders. Contraint à visser des écrous à un rythme effréné sur une chaîne de montage, cobaye d’une « machine à manger » destinée à gaver les ouvriers afin de gagner du temps, le personnage interprété par Chaplin devient l’incarnation littérale de « l’aliénation au travail » puisqu’il devient fou et doit être interné dans un hôpital.
Sourire
Par la suite, la route du héros croise celle d’une autre victime, une « gamine » (Paulette Goddard) qui vole de la nourriture pour la donner aux plus pauvres et subvenir aux besoins de ses deux sœurs avant que son père, chômeur, ne disparaisse et ne fasse d’elle une orpheline. Bien que forçant, à son habitude, sur le mélodrame, Chaplin n’oublie pas le rire et celui-ci naît notamment de situations où le personnage agit malgré lui : absorbant sans le savoir de la cocaïne, provoquant une catastrophe sur un chantier naval ou devenant par hasard le meneur d’une manifestation communiste.
Le scénario n’est pas un modèle de rigueur, mais cette comédie, qui tient de la fable ou du conte, s’autorise avec naturel toutes les libertés. On savoure la brillante scène des patins à roulettes, dans la salle des jouets du grand magasin où Charlot s’est fait embaucher comme veilleur de nuit, de même que la séquence finale dans laquelle les deux personnages s’en vont sur une route à l’aube tandis que résonne une musique, composée par Chaplin, qui deviendra la chanson Smile. Sourire, c’est peut-être l’une des meilleures armes face à la barbarie des temps modernes.
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