« L’île introuvable » de Jean Le Gall, c’est Olivier Ravanec, romancier de son état, nègre littéraire à l’occasion, journaliste au Matin de Paris. Son destin va croiser celui de Vincent Zaid, producteur de musique et surtout prince des nuits parisiennes. À cause de ses origines mystérieuses, des légendes courent sur cet homme intelligent mais inculte, dénué du moindre humour. Comment la si gracieuse et intelligente éditrice Dominique Bremmer a-t-elle pu s’enticher d’un énergumène pareil ? Ravanec aura sa revanche en remplaçant Zaid dans le cœur de la belle.
Sous les atours du roman noir et de la comédie sociale, L’Île introuvable de Jean Le Gall – qui se déroule des années 1980 à nos jours – dresse le tableau d’une époque où « le commerce, la musique des synthétiseurs, la mode, les drogues, le sexe, le nouveau langage, l’électronique, la modernité » vont prendre le pouvoir. Derrière le règne apparent des festifs libertaires, des artistes et du métissage apparaît un gigantesque appétit de possession, un nouvel ordre : « le monde libéral n’en finissait pas de s’étendre, avec lui la réussite, la logistique, le turn-over, les mathématiques.»
Force massive et crétinisante
Un monde s’achève, un autre commence. C’est le temps des gagnants, des battants, des working-girls. Qui dit vainqueurs dit perdants. Doivent être éliminés tous ceux qui vivent sur un modèle ancien : « les êtres de patience, de savoir-faire, de solitude, et de charme. » La littérature, la presse, l’écrit deviennent « les reliques gênantes d’un temps et d’une façon de vivre qu’il fallait à tout prix interrompre ». « Une force massive et crétinisante avait débordé les digues », songe Ravanec en contemplant l’étendue du désastre. Dans cette mutation anthropologique, des concepts et des valeurs s’imposent : « le véganisme, l’antispécisme, l’écriture inclusive, les combats à coup de hashtags, la victimisation, le principe de précaution, la haine du risque, le bonheurisme et toutes les autres croyances débiles ».
Avec précision, ironie, humour, Jean Le Gall dépeint cette grande métamorphose. Les formules fusent (« cent pages de Proust se vendent au même prix que cent pages de Prost »), les dialogues font des étincelles. L’auteur des Lois de l’apogée mêle personnages réels et fictifs, ressuscite les années Palace, se souvient de Jack Thieuloy et de Louis Aragon, des chansons des Avions et des vestes de Thierry Mugler. Rien n’échappe à son œil laser, mais tout cela est fait sans pesanteur, avec une élégance et une légèreté de danseur.