Révélé en 2017 dès son premier long-métrage en tant que réalisateur, Get Out, auréolé d’un énorme succès public et de l’Oscar du meilleur scénario original, le comédien afro-américain Jordan Peele (également scénariste et producteur de Get Out) creusait deux ans plus tard une nouvelle fois le sillon du thriller horrifique lorgnant sur le fantastique avec l’extraordinaire Us, merveille de créativité, de mise en scène et d’audace. Au racisme sous-jacent d’une société bien-pensante épinglé par Get Out répondait avec Us une charge contre la ségrégation sociale, mais sans jamais que le propos ne détourne Peele de son objet premier : s’approprier les codes d’un genre pour créer un cinéma totalement original.
Le troisième film de Jordan Peele, Nope (en salles depuis le mercredi 10 août), met en scène Otis Junior, dit OJ, et sa sœur Emerald qui ont repris dans le désert d’Agua Dulce en Californie le ranch que tenait leur père, décédé quelques mois plus tôt après une mystérieuse pluie de petits objets métalliques. Spécialisée dans le dressage de chevaux pour la télévision et le cinéma, l’ancestrale entreprise familiale (l’un des aïeux d’OJ et Emerald, un cavalier noir, apparaissait en 1878 dans ce qui est considéré comme l’un des premiers films animés de l’Histoire) ne va pas fort. OJ est contraint de vendre la plupart de ses chevaux au parc d’attractions voisin dédié au western. Ne faudra-t-il bientôt céder le ranch ? A moins que le mystérieux nuage immobile stationnant non loin de la propriété offre une issue de secours. Ce nuage semble abriter un OVNI. Si OJ et Emerald parviennent à le filmer, ce serait la fortune et sans doute même un passage dans le talk-show d’Oprah Winfrey…
Affaire de morale
Steven Spielberg et M. Night Shyamalan sont souvent évoqués à propos de Nope. On songe plutôt à Super 8 de J.J. Abrams, autre film d’extraterrestres en forme de déclaration d’amour au septième art ou au Tarantino de Once Upon a Time… in Hollywood, là aussi pour l’acte de foi absolu en la puissance du cinéma. On pense surtout à la fameuse phrase de Jean-Luc Godard selon lequel « Tout travelling est affaire de morale », évidence récusée par la société du spectacle et notre quotidien saturé d’images. Jordan Peele rappelle donc une morale ou une éthique bafouée par l’époque : il y a des choses que l’on ne regarde pas et que l’on ne filme pas, on ne fait pas de l’horreur un spectacle ni un musée à visiter. Chez lui, la sauvagerie, la violence la plus indécente sont hors-champ. De même, pour échapper à cet OVNI organique qui avale les trop curieux, il y a une règle simple : ne pas le regarder.
Face au règne du faux et du simulacre (parcs d’attractions, télévision, publicité…), OJ et Emerald (remarquables Daniel Kaluuya et Keke Palmer), épaulés par deux complices, vont faire appel au cinéma des origines, à la pellicule et à l’argentique plutôt qu’au numérique (Nope est tourné en 70 mm). Tour à tour (ou en même temps) chronique familiale, comédie, film de science-fiction, western ; Nope est un touchant et profond hommage à un art capable de fixer le Mal pour le chasser de nos existences.