Dans son livre, Stéphane Hoffmann raconte qu’on peut être plein d’angoisse et très sage quand on a treize ans. La preuve avec Antoine Griggs qui a eu le mérite de ne pas encombrer jusque-là ses géniteurs. Son père, Rudyard (un Anglais, of course) ne s’est jamais soucié de lui, trop occupé à parcourir la planète et à s’ébrouer dans la finance. Sa mère, Baladine, a accumulé les succès dans le monde de l’entreprise et vise désormais un poste de ministre. Pas le temps ni l’envie d’élever un fils. Les pensions font cela très bien. Et pour les vacances, il y a la grand-mère Maggie et le bon air de Chamonix. Mais un été, les parents – séparés et toujours mariés – se souviennent qu’ils ont eu un enfant et chacun veut le récupérer…
Chez la plupart des romanciers français, cette trame nous aurait valu de bonnes louches de pathos et de bons sentiments ainsi que des dénonciations vertueuses ponctuées d’un peu de psychanalyse et de sordide. Chez Stéphane Hoffmann, la fantaisie et l’insolence priment. La poésie passe en contrebande (à l’image notamment du titre emprunté à un poème de Valery Larbaud), la mélancolie fait entendre des tintements de cloche fêlée au milieu des rires, la grâce et la légèreté ont leur rond de serviette.
Ne pas marcher au pas
L’auteur de Château Bougon (prix Nimier 1991) et des Autos tamponneuses nous offre une galerie de personnages hauts en couleur qui déjouent les clichés. Les adultes qu’il met en scène sont égoïstes, menteurs, insouciants, mais ils ont leurs raisons (comme chez Jean Renoir) et valent mieux que les apparences. Prenons Rudyard, ce père indigne qui souffle pourtant de sages conseils à son fils : « Tous les endroits qu’on a aimés disparaissent. C’est pour ça qu’il ne faut jamais y retourner, tu comprends ? Il faut en chercher d’autres. » Sa devise : « Nous soignons notre ennui au champagne : les grandes douleurs sont Moët. » Quant à Maggie, elle a saisi l’état d’esprit de l’époque mieux que quiconque : « Le jour a baissé. Il faut marcher au pas, ne plus rien dire, ne pas penser en dehors des clous. On vit sous la surveillance des chaisières et des binoclards. On est mis en joue de toutes parts. Le conformisme est la règle ».
Puis, il y a Antoine. Ascendant Doinel chez ce galopin qui, lorsqu’on lui demande où il est allé en vacances, répond « Je suis allé aux chiottes ! » Il aime lire Dumas et Homère, réussit à pleurer et à rire en même temps. Ce gosse n’est déjà dupe de rien, subit les morsures du chagrin en promettant de s’en montrer digne. Bonne chance Antoine…