L’exposition « Joséphine Baker, une vie d’engagements », qui se tient à Toulouse, au Musée départemental de la Résistance et de la Déportation jusqu’au 29 octobre, permet de découvrir toutes les facettes de l’artiste et de la femme engagée, entrée au Panthéon en novembre dernier.
Avant son entrée au Panthéon, le 30 novembre 2021, le souvenir de Joséphine Baker se cantonnait dans la mémoire de nombreux Français à l’image de l’artiste de music-hall, de la chanteuse, danseuse et meneuse de revue. Sa panthéonisation a eu le mérite de faire découvrir les autres visages de Freda Josephine McDonald née en 1906 à Saint-Louis dans le Missouri. L’exposition « Joséphine Baker, une vie d’engagements », initiée par le Conseil départemental de la Haute-Garonne, prolonge cette découverte ou redécouverte.
Découpée en trois thèmes (« Joséphine Baker, une artiste libre », « Une femme de combats », « L’héritage de Joséphine »), l’exposition rassemble des archives audiovisuelles, des lithographies, des toiles, des sculptures, des affiches, des photographies, des vêtements (dont une superbe tenue de scène), des correspondances (notamment avec le général de Gaulle), des documents souvent émouvants retraçant l’existence à la fois singulière et totalement ancrée dans son temps de cette femme libre.
Emancipation
Alors qu’à peine adolescente elle a été mariée à deux reprises, Joséphine Baker (son nom de scène), qui chante et danse depuis l’enfance, gagne Broadway à l’âge de 19 ans, puis l’Europe avec la troupe de la Revue Nègre dont elle devient la vedette. A Paris, la jeune femme noire de sang mêlé (elle a des origines espagnoles, afro-américaines et amérindiennes) monte sur la scène des Folies Bergère avec la ceinture de bananes (dont un exemplaire est exposé à Toulouse) appelée à devenir célèbre. Avec « La Danse sauvage », elle danse le charleston dans un décor de savanes et au son de tambours. Joséphine Baker se produit aussi seins nus. On l’appelle la « Vénus noire » ou la « Vénus d’ébène ». En assumant et en détournant les clichés colonialistes et raciaux de son époque, elle va paradoxalement les transformer en instruments d’émancipation tant dans sa vie de femme, d’artiste que dans le domaine des représentations. Exotisme, érotisme, stéréotypes sur le « bon sauvage » ayant le rythme dans la peau, découverte de « l’Art nègre » : très bien, semble dire Joséphine Baker, mais vous allez aussi devoir accepter une femme libre, indépendante, riche, qui conduit ses limousines…
Cette icône des années folles, à la fois égérie ou muse des artistes de son temps (parmi lesquels Le Corbusier et les cubistes) et vedette populaire, impose sa coiffure – carré court, cheveux plaqués et gominés – comme une signature. Dans son sillage, le public découvre le jazz et les musiques noires. Elle chante (J’ai deux amours), tourne des films, enchaîne les spectacles. En 1937, elle épouse le jeune courtier Jean Lion et obtient la nationalité française, mais c’est la Seconde Guerre qui va faire accéder la femme, déjà engagée dans la lutte contre l’antisémitisme, à une autre dimension.
France Libre et universalisme
Car l’engagement immédiat de Joséphine Baker dans l’effort de guerre puis dans La France Libre ne sera pas qu’un simple outil de « propagande ». Elle donne des galas de soutiens, met son image au service de la France Libre, mais elle se transforme également en agent de renseignement et en officier des Forces Françaises Aériennes Libres. « C’est la France qui m’a faite ce que je suis, je lui garderai une reconnaissance éternelle. La France est douce, il y fait bon vivre pour nous autres gens de couleur, parce qu’il n’y existe pas de préjugés racistes. Ne suis-je pas devenue l’enfant chérie des Parisiens ? Ils m’ont tout donné, en particulier leur cœur. Je leur ai donné le mien. Je suis prête, capitaine, à leur donner aujourd’hui ma vie. Vous pouvez disposer de moi comme vous l’entendez », écrit-elle en septembre 1939 à un officier de renseignements.
Autre tournant : en 1947, Joséphine Baker épouse Jo Bouillon dans la chapelle du château des Milandes en Dordogne. Le couple ouvre bientôt au public son domaine et ses attractions : « Les Milandes village du monde, capitale de la fraternité ». En 1954, l’artiste décide de fonder une famille et sa « tribu arc-en-ciel ». Du Japon à la Finlande en passant par la Colombie ou la Côte d’Ivoire, le couple va adopter douze enfants de toutes origines et de toutes religions. Par ailleurs, lors de séjours dans son pays natal, Joséphine Baker se bat pour les droits civiques, rencontre Martin Luther King, dispense son message de concorde et de lutte contre tous les racismes à travers le monde.
La fin de son existence est plus sombre : problèmes financiers et expulsion du château des Milandes en dépit de spectacles toujours triomphaux qu’elle donnera jusqu’à son dernier souffle. Quelques jours après le lancement d’une série de shows, « Joséphine à Bobino » célébrant en mars 1975 ses cinquante ans de carrière, elle s’éteint le 12 avril à l’âge de 68 ans, victime d’une attaque cérébrale. En 2022, à l’heure du « wokisme », du repli identitaire sur le plus petit dénominateur commun, de l’exacerbation des différences ; le patriotisme, l’amour de la France, l’universalisme et la lutte sans exclusive contre toutes les discriminations de Joséphine Baker font figure de modèles.
Musée Départemental de la Résistance & de la Déportation 52 allée des Demoiselles 31400 Toulouse Tél. 05.34.33.17.40 ; http://musee-resistance.haute-garonne.fr. Entrée gratuite. Ouvert du mardi au samedi de 10h à 18h. A noter que de nombreuses conférences et animations accompagneront l’exposition dans les semaines à venir.
Musée départemental de la Résistance et de la Déportation