Invité à l’université d’Arkhangelsk en 2010, Olivier Rolin eut l’occasion de se rendre sur les îles Solovki, archipel au milieu de la mer Blanche où fut édifié le premier camp de qui deviendrait le goulag. Il y revint deux ans plus tard et découvrit un album hors commerce édité par la fille d’un déporté à la mémoire de son père. « Alexeï Féodossiévitch Vangengheim, le météorologue, avait été déporté aux Solovki en 1934. La moitié de l’album était constituée par des reproductions des lettres que du camp il envoyait à sa fille, Éléonora, qui n’avait pas quatre ans au moment de son arrestation », note Rolin. De cette découverte naquit chez l’écrivain l’idée de retracer la vie l’une de ces millions de victimes de la folie épuratrice stalinienne.
Né en 1881 dans un village d’Ukraine, Féodossiévitch s’enthousiasme pour la Révolution qu’il sert comme inspecteur de l’éducation populaire avant de devenir, une dizaine d’années plus tard, le premier directeur du Service hydrométéorologique unifié. En bon communiste, il va aider le prolétariat à dompter les forces de la nature, mais en janvier 1934, il est arrêté et accusé de sabotage. Crime imaginaire qu’il reconnaît (comme la plupart des victimes) avant de se rétracter. Après un passage à la Loubianka, siège de la Guépéou, et au camp de Kem, il purgera sa peine de dix ans de camp de rééducation par le travail à Solovki. Là-bas, il ne cessera d’écrire à sa femme et à leur fille Éléonora.
Mémoire vive
Il écrira aussi à de nombreuses reprises au « camarade Staline » et à d’autres hiérarques pour clamer son innocence et son incompréhension. Car le Parti, pense-t-il, va bien finir par reconnaître son erreur et la vérité triomphe toujours en URSS… Finalement, Alexeï Féodossiévitch Vangengheim sera exécuté avec plus d’un millier de détenus en novembre 1937. À la « terreur ordinaire » succède la « Grande Terreur » des années 37-38. Durant seize mois, environ 750 000 personnes seront fusillées…
Olivier Rolin raconte cette « histoire qui fut une orgie de sang » à hauteur d’homme, en l’occurrence ce météorologue qui ne se révolta jamais contre son sort, qui continua à faire des portraits en éclats de pierre de Staline. On l’aurait aimé plus flamboyant, suggère l’écrivain avant de rappeler la phrase superbe de Bernard Lazare à propos du capitaine Dreyfus : « Il est innocent, c’est déjà beaucoup. » Même le régime finira par le reconnaître en 1956. Varvara Ivanovna apprend alors la mort de son mari en même temps que sa réhabilitation. Les dernières pages, bouleversantes, du Météorologue, ne sont pas de l’écrivain, mais reproduisent précisément les lettres et les dessins envoyés à sa fille. C’est aussi par cette mémoire, sans « devoir de », mais tellement sensible, que le livre d’Olivier Rolin est grand et poignant.