Patrick Bateman, le golden boy tueur en série, imaginé par Bret Easton Ellis dans American Psycho en 1991, avait un cousin anglais – certes, moins sauvage – que Michael Bracewell mettait en scène un an plus tard dans The Conclave, roman paru en France en 2008 sous le titre Un éternel jeune homme. L’auteur d’Une époque formidable et de Saint Rachel nous invite à découvrir sur près de quatre cents pages la destinée de Martin Knight. Né en 1960 dans une banlieue pavillonnaire de Londres, Martin est un adolescent rêveur, romantique, baignant dans les mots des poètes et des rêveries artistiques qui lui semblent un bon moyen de gagner le cœur des filles.
À dix-huit ans, il décide que son existence s’envisagerait désormais à travers trois valeurs : « l’argent, l’esthétique et l’amour ». À cet étudiant médiocre, l’époque va donner sa chance et le révéler en le convainquant que « le commerce pouvait être beau ». Analyste-programmeur dans une société d’informatique en pleine expansion au cœur d’une City bouillonnante de capitaux, Martin s’élève rapidement et rencontre la femme idéale en la personne de Marilyn Fuller, jeune fille persuadée que « faire du shopping était un mode de vie ».
La vie mode d’emploi
À travers Martin et Marilyn, Un éternel jeune homme peint une nouvelle classe narcissique, autosatisfaite, baignant dans un hédonisme consumériste, épousant le goût du luxe et le commerce des apparences que les années quatre-vingts lui tendent comme une évidence. Si le roman possède une vraie dimension politique et sociologique, celle-ci ne chausse jamais les bottes cloutées du roman à thèse. C’est en romancier que Bracewell décrit l’ennui des riches et le pouvoir corrupteur de l’argent, à l’image de cette scène où Martin reçoit sa première carte de crédit qu’il tient dans la main « comme un revolver chargé, ou un paquet de cigarettes plein ».
De la destruction des villes en temps de paix, défigurées par les parkings, bureaux, supermarchés et autres centres commerciaux, à l’eau grise de la lassitude qui monte sur ce jeune couple, Michael Bracewell brasse la peinture d’une société et celle d’individus avec un regard à la fois sec et mélancolique, aux accents parfois fitzgéraldiens. Sans surprise, un retour au réel décillera les yeux de notre héros désemparé devant les « boutiques du Weest End et leurs soldes avant fermeture définitive ; la stupidité des journaux et des publicités ; le spectacle des vitrines blanchies à la chaux de restaurants autrefois en vogue ; l’américanisation des jeunes à tous crins ; l’omniprésence des mendiants à chaque rue ; l’impression d’avoir brûlé les étapes… » Enfin viendront la vie et son mode d’emploi.