Dans « Juliet , Naked », Nick Hornby parle du couple formé par Annie et Duncan qui ne va pas très fort. Ces jeunes quadragénaires aux allures d’éternels étudiants coulent des jours paisibles à Gooleness, petite station balnéaire du Nord de l’Angleterre. Leurs métiers pas très accaparants (elle est conservatrice du musée, lui professeur) leur laissent le temps de lire, d’avaler des films ou des séries télévisées, d’écouter de la musique. Enfin, surtout celle de Tucker Crowe, chanteur qui a mis fin à sa carrière vingt-deux ans auparavant et qu’idolâtre Duncan. Ce dernier anime d’ailleurs un site Internet dédié à son idole. Tucker est une manière de Salinger du rock. Il a créé un album culte, Juliet, avant que son retrait de la scène musicale n’entretienne rumeurs et légendes. Pour Duncan qui voit en Annie une sorte de « copine de fac qui serait venue passer quelques jours de vacances et serait restée pendant les vingt années suivantes », Tucker est la référence ultime, son passé et son présent. Cela devient de plus en plus oppressant pour Annie qui regarde avec désolation ce qui aurait pu être la chambre d’enfant de leur appartement occupée par deux ordinateurs portables, un appareil convertissant les vinyles en MP3 et deux mille CD.
Un jour, le CD Juliet, Naked (rassemblant les maquettes de travail de ce qui devint Juliet) est envoyé à Duncan par la maison de disques. Le plus grand fan au monde de Tucker s’empresse de délivrer la bonne nouvelle sur le site consacré à l’artiste. De son côté, Annie trouve ces versions largement inférieures aux définitives et se permet de le signaler aux internautes. Surprise : c’est à elle que Tucker Crowe envoie un mail de remerciements qui va bouleverser bien des choses…
Aimer les gens davantage
Dans « Juliet, Naked », ce roman drôle et déchirant sorti en France en 2010, on retrouvait tout l’univers de l’auteur de Haute Fidélité et Carton jaune (le rapport obsessionnel et fétichiste entretenu par des êtres immatures avec une culture populaire ou un art), mais avec un nouveau relief dessinant le portrait de personnages se rendant compte qu’ils ont gâché leur vie. Comment rattraper ce temps perdu lorsque l’on a l’impression d’avoir passé la majeure partie de son existence dans une salle d’attente ?
Hornby nous emmène à la rencontre de ce Tucker Crowe qui vit dans l’anonymat d’un coin paumé de Pennsylvanie et qui, à bientôt cinquante-cinq ans, ne s’est toujours pas débarrassé de son incapacité à être un père pour ses nombreux enfants. De l’autre côté de l’Atlantique, Annie se met à espérer que le domaine du possible ne lui est pas tout à fait fermé. Il y a dans ce roman déchirant et drôle des solitudes qui se croisent, des photos sépia distillant une nostalgie à couper au couteau, les « reliques poignantes des jours anciens et heureux », la difficulté à exprimer ses sentiments… Nick Hornby nous souffle que le grand art « incite à aimer les gens davantage ». La définition correspond parfaitement à « Juliet, Naked ».