Voici vingt ans qu’Eric Cuestas a ouvert Le Temps des Vendanges, la cave-restaurant de la place de l’Estrapade dont la renommée a vite dépassé les murs de la ville. Vingt ans donc que ce passionné, nommé caviste de l’année par la prestigieuse Revue des Vins de France en 2021, conseille et éduque les palais des novices comme des amateurs éclairés en faisant découvrir des vins d’artisans vignerons. L’occasion de revenir en sa compagnie sur une vocation au cœur de laquelle le partage a sa place.
Tout d’abord, que sont les « vins naturels » ?
Le prérequis pour revendiquer la production d’un vin naturel est la pratique de l’agriculture biologique ou de la biodynamie avec un minimum d’intrants en viticulture. Cela nécessite d’avoir des raisins plus solides qui permettent d’éviter des corrections durant la vinification. Cela demande aussi un travail de tous les instants, beaucoup de rigueur, une grosse mise en œuvre agrologique. Il faut que les vins soient droits, purs, sans déviances et qu’ils soient surtout l’écho du terroir, du lieu d’où ils viennent. C’est un long cheminement.
Vous avez d’abord été sommelier dans de grands restaurants avant d’ouvrir Le Temps des Vendanges. Qu’est-ce qui vous animait en devenant caviste ?
J’avais envie de créer mon « chez moi ». N’étant pas cuisinier, je voulais que le vin soit au centre de mon entreprise. J’ai donc créé une cave à vins où l’on puisse manger en goûtant des bouteilles. Ce n’est pas un restaurant où l’on peut acheter du vin, mais une cave où l’on peut manger. J’avais également envie en ouvrant Le Temps des Vendanges de tisser des relations encore plus étroites avec les vignerons. Vingt ans après, je suis très intéressé par le parcours de vignerons qui se sentent désormais prêts à faire du vin nature ou à tendre vers cela, à épouser une certaine philosophie de la viticulture. Le plus important n’est pas de savoir s’il y a trois grammes de soufre par hectolitre, un gramme ou zéro, mais de s’inscrire dans une viticulture rigoureuse et pérenne.
Avant cela, comment le goût du vin vous est-il venu ?
J’ai eu des formateurs très passionnés à l’école hôtelière puis il y a la curiosité qui fait avancer. Une rencontre en entraîne une autre, un réseau vertueux se met en place dans une appellation ou une région, mais cela n’est possible qu’en se déplaçant dans le vignoble. On prend le pouls d’un territoire.
Toulouse a été une place-forte des vins naturels dans l’Hexagone voici déjà une quinzaine d’années avec des cavistes comme Le Tire-Bouchon, Vinéa, Vin nouveau et vous-même. Y a-t-il une raison selon vous ?
Toulouse est une grande métropole et il y a une clientèle ouverte. Nous ne sommes pas au cœur d’un vignoble comme Bordeaux, Lyon ou Tours avec une culture forte du vin qui rend les gens moins ouverts même si les choses ont évolué dans ces villes-là. A Toulouse, nous avions la chance à cette époque-là de pouvoir proposer des vins un peu différents.
Les vins naturels sont depuis plusieurs années présents dans les meilleurs restaurants en France comme à l’étranger. On les retrouve chez de plus en plus de cavistes et même dans des enseignes de la grande distribution. S’agit-il d’un mouvement de fond ou est-ce encore superficiel ?
C’est un mouvement de fond. Dans toutes les grandes villes aujourd’hui, on trouve en effet beaucoup de cavistes proposant des vins naturels. L’offre s’est démocratisée. Après, le petit revers de la médaille est que l’on peut s’éloigner parfois de la finalité selon moi d’un vin naturel qui est de définir et incarner un lieu, un terroir de la façon la plus pure possible. Or, il faut avoir des raisins aptes à ce genre de démarche et d’aboutissement.
Comme dans la plupart des domaines, il peut y avoir une part de snobisme et de distinction sociale chez certains consommateurs de vins naturels. Cela vous amuse ou cela vous exaspère ?
On retrouve cela en effet dans d’autres domaines comme l’art contemporain ou la musique, mais ce qui m’intéresse c’est que le vin doit rester un aliment et une boisson qui fassent sens.
Est-il possible d’acheter une bouteille de bon vin à moins de dix euros ?
Pour des vins de fruit, oui, mais il est vrai que c’est de plus en plus difficile dans les vins naturels. Des vignobles le permettent encore, notamment dans le Sud-Ouest. Je pense notamment à Gaillac. La Touraine aussi. Des régions où le prix du foncier est encore sage. Il y a vingt ans, un hectare en Auvergne coûtait 10 000 euros, aujourd’hui c’est plutôt 50 000. Forcément, l’incidence sur le prix de la bouteille va se faire ressentir.
Quelle est la plus grande satisfaction ou le plus grand plaisir dans votre métier ?
C’est le vigneron que l’on va découvrir demain. Le moteur est là. J’aime me rendre chez les vignerons et d’être ensuite en quelque sorte leur porte-parole. Le plaisir est de faire découvrir des vins.