Autour d’Evgeny Kissin, seul le mot excellence a droit d’être écrit en lettres de feu. C’est pourquoi, grâce au Cycle Grands Interprètes de Toulouse, le lundi 10 février à 20h à la Halle, l’accompagnant, nous retrouverons, le violoniste Gidon Kremer, l’altiste Maxim Rysanov et le violoncelliste Gautier Capuçon, pour un concert tout Chostakovitch.
Grands Interprètes de Toulouse, nous a fait connaître Evgeny Kissin tout jeune, chaperonné par sa professeure Anna Kantor et le public de la Halle peut dire ainsi que c’est un génie du piano qui lui est familier. C’était le 1er décembre 1998. Il est revenu par la suite mais le voilà de retour pour une raison très précise : À l’occasion de la commémoration des 50 ans du décès de Dimitri Chostakovitch et dans le cadre d’un projet international, Evgeny Kissin se lance en 2025 dans un important cycle de musique de chambre en hommage au compositeur. Toulouse fait partie du périple. C’est un honneur pour la ville et le public de la Halle.
Le programme sera le suivant :
Sonate pour violoncelle et piano, en ré mineur, opus 40
Allegro non troppo
Allegro
Largo
Allegro 24’
Sonate pour violon et piano, opus 134
Andante
Allegretto
Largo 30’
Sonate pour alto et piano, opus 147
Moderato
Allegretto
Adagio
Quelques mots sur la vie incroyable de ce compositeur du XXè siècle. Enfouie sous contraintes et persécutions, l’existence de Dimitri Chostakovitch aura été entièrement fidèle à la terre russe dont il ne se sera pas détaché tout au long de sa vie. Malgré la terreur psychologique institutionnalisée par le régime soviétique, le dernier Géant de l’écriture symphonique laisse une œuvre considérable, universellement reconnue.
Cependant, on sait maintenant que Chostakovitch lui-même se méfiait – à juste titre – de toutes les explications intellectuelles ou assimilées qu’on pouvait proposer pour interpréter ses énigmes musicales. Non pas qu’il veuille à tout prix protéger ses secrets mais parce qu’il préférait s’en remettre au langage évident de ses images musicales. Par contre, il se fiait avant tout à la capacité de ses auditeurs de comprendre sa musique sans avoir besoin d’explications, « de l’appréhender par la seule richesse des sens concrets suggérés par l’héritage romantique. » disait-il.
D’une part, nous n’en savons toujours pas assez sur ses motivations et sur les intentions personnelles qu’il incorporait dans son œuvre créatrice, et ce, dans tous les domaines. D’autre part, nous en avons trop appris pour prêter foi encore aux clichés héroïques élaborés qui sévissent toujours dans la patrie du compositeur, clichés de plus en plus nombreux tout de même au fur et à mesure que le musicien est de plus en plus joué aux quatre coins du monde, tous domaines confondus.
On partage sans difficultés les mots qui suivent :« L’histoire, aujourd’hui, se substitue aux événements. La mort, déjà, avait dépouillé Chostakovitch des oripeaux trouvés au vestiaire de l’opinion publique. Dans une nouvelle clarté, le compositeur avance, front large, regard perçant, traversant le miroir sans sarcasme, sans grimaces, sans effroi. Celui qui chanta l’utopie, l’aube et la nuit, le rebelle consentant, le soumis des lendemains enlisés, l’apôtre des renouveaux perdus et toujours resurgis, le voilà bien, Chostakovitch. D’autant plus présent qu’il est désincarné, affranchi, intouchable, acteur, juge et témoin d’une longue odyssée. Le voici, de retour, survivant de la traque et rendant compte. Par l’œuvre, par l’humour, par l’éclat, par le silence. De retour, » Chosta » est vivant ! » Guy Erismann, Philippe Gavardin, François Pigeaud.
Sur l’opus 40, violoncelle et piano, la Sonate fut composée en 1934. Elle fait donc partie des œuvres dites “de jeunesse“ d’un Chostakovitch de 28 ans qui fait alors l’admiration de toute l’Union Soviétique. Mais la Pravda va sévir après le scandale programmé de son opéra Lady Macbeth de Mzensk, « le chaos au lieu de musique », écrit-elle, après l’avoir encensé. Jdanov est en place, et pour longtemps.
Elle va être remaniée et l’édition critique définitive ne sera publiée qu’en 1982, sept années après son décès. On dit que le premier mouvement aurait été composé en deux nuits après une dispute mémorable avec son épouse Nina. Le second serait empreint d’une allusion satirique à son compatriote Serge Prokofiev. Quant à l’Allegro final, son écriture ne semble pas empreinte d’une grande facilité mais bien plutôt de tout le contraire. C’est une sorte de rondo sarcastique et dansant dans lequel le grotesque et la provocation apparaissent sous les doigts du pianiste. Il conclut l’œuvre par un étonnant mouvement perpétuel d’une intensité demandant des qualités techniques disons… peu communes.
Sur la Sonate pour violon accompagné au piano op.134, sa création eut lieu dans un concert privé à l’Union des compositeurs soviétiques en janvier 1969 avec la participation du dédicataire, le célèbre David Oïstrakh, et quatre mois plus tard en public dans la salle du Conservatoire de Moscou encore avec Oïstrakh et Sviatoslav Richter, ces deux “monstres “ sacrés l’un du violon, l’autre du piano.
Si l’on rattache à cet opus, le 147, soit la Sonate pour alto et piano, nous sommes dans la dernière période de Dimitri Chostakovitch, puisque l’Opus 134 fut écrit au début des hospitalisations répétées du compositeur, vers 1968 et que l’Opus 147 constitue son ultime pièce, achevée quatre jours avant de mourir. Les premiers troubles de santé qui engageront le musicien à consulter les médecins remontent à 1958. Premier infarctus sérieux de 1966, crise qui inaugure la longue série de soins et de séjours hospitaliers et la fin le 9 août1975.
La Sonate pour violon et piano Op.134, conçue juste après les Romances sur des poèmes de Blok et le 12ème Quatuor, radicalise l’âpreté de la signature “chostakovienne“. Dure période pour le compositeur dont l’inquiétude de l’Andanteinitial est évidente, entretenant une demi-teinte languissante dans la deuxième partie du mouvement, avec la complicité du piano, distillant les innombrables retours de la partition. Les instrumentistes opposent à ces débuts la fermeté hargneuse d’un Allegretto insoumis où l’on retrouve encore cette ironie dansée propre au compositeur. Au final de presque quinze minutes, un chant insaisissable fait crier l’aigu du violon.
Sonate de la mort, ainsi désigne-t-on la Sonate pour alto et piano Op.147, créée quelques semaines après le décès de son auteur et dernière œuvre achevée. Le Moderato sous-titré Récittraduit un climat mélancolique, crépusculaire même laissant sourdre comme une colère qui semble économiser ses forces. Le pianiste différencie savamment ses frappes, ouvrageant précieusement le climat d’un mouvement dont la fin laisse l’alto dialoguer avec lui-même, les instruments ignorant un dialogue commun. La nostalgie d’une ultime aspiration à la danse anime le Scherzo-Allegretto central dont l’interprétation révèle discrètement la désillusion.
À l’Adagio élégiaque, prétendument in memoriamBeethoven, altiste et pianiste laissent Chostakovitch soliloquer avec ses souvenirs. D’aucuns essaieront de retrouver les citations musicales que le compositeur aura choisies de citer dans ce qui peut constituer une sorte d’épitaphe.
Né en 1971, Evgeny Kissin commence à jouer ses premières notes et improvise sur le vieux piano familial dès l’âge de deux ans ! À 6 ans, il entre à l’école de musique Gnessine de Moscou et étudie avec Anna Pavlovna Kantor, qui sera son unique professeure. Enfant prodige, il fait ses débuts à dix ans dans le Concerto pour piano et orchestre K 466 de Mozart et donne son premier récital à onze ans.
À la cinquantaine, on peut dire qu’il a joué partout, dans toutes les salles les plus prestigieuses du monde entier. En récital, rien ne lui résiste. Il peut conclure par deux bis, ou trois ou quatre ou cinq ! on a pu compter jusqu’à six, me semble-t-il ici même ! Avec les plus grands chefs et les plus belles phalanges, ce sont tous les concertos qu’il a souhaité programmer.
Nous ne parlerons pas des enregistrements ni des Honneurs délivrés, et récompenses. Il est aussi compositeur ! et il écrit, également auteur d’un récit autobiographique, son premier livre « Avant tout, envers toi- même sois loyal – Mémoires et réflexions d’un prodige de la musique » est paru aux éditions Le Passeur en février 2018.
En quelques mots, comme il l’écrit, mais sans forfanterie, contrairement aux apparences, il est un prodige de la musique.
Il partage son périple avec un autre prodige de la musique mais ici, c’est par le violon : Gidon Kremer
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