Ces reprises d’Orphée aux enfers de Jacques Offenbach au Théâtre du Capitole sont passionnantes à plus d’un point. Non seulement l’œuvre était absente de la scène capitoline depuis plus de trente ans (?), mais la distribution que nous en propose Christophe Ghristi est des plus alléchantes en cela qu’il a réuni pour ce faire des chanteurs d’opéra de très grand talent. Ce qui n’est pas toujours le cas dans ce répertoire… Après avoir rencontré le ténor Enguerrand de Hys (Mercure) et le baryton Kamil Ben Hsaïn Lachiri (Mars), voici venu le tour d’une découverte pour le public toulousain, et dans un rôle très exposé, celui de l’Opinion publique, de la mezzo-contralto Adriana Bignagni Lesca.
Rencontre
Vous êtes née à Libreville. Comment se structure la vie musicale au Gabon ?
Nous ne connaissons pas du tout la musique classique, c’est celle dite « des Blancs ». Par contre nous sommes plus familiers des instruments. J’ai donc commencé à apprendre le piano. Puis, en progressant, j’ai monté une chorale pour enfants dans une école publique en tant qu’intervenante extérieure et j’ai participé au programme pour la paix organisé par l’Unesco. Souhaitant obtenir un diplôme j’ai dû partir direction Bordeaux. J’ai passé une audition piano au cours de laquelle il y avait une œuvre libre et j’ai choisi le Prélude de Bach chanté sur un texte dans ma langue maternelle, le Punu, composé par Annie-Flore Batchiellilys.
Le Directeur du Conservatoire, Monsieur Jean-Luc Porteli, me propose alors d’étudier plutôt l’opéra, un monde totalement inconnu pour moi. Résultat j’ai fait tout mon cursus lyrique au Conservatoire de Bordeaux, dont je suis diplômée. J’ai ensuite participé à plusieurs concours dont l’Armel Opera Competition à Budapest en 2016. J’en suis sortie lauréate et j’ai ainsi obtenu mon premier rôle-titre, celui d’Angel of the odd de Bruno Colis, un opéra contemporain; c’est à partir de ce moment-là que les engagements ont commencé. Pendant plusieurs années j’ai chanté surtout en Allemagne et en Italie mais depuis deux ans j’ai de plus en plus de contrats en France.
C’est la première fois que vous chantez à Toulouse. Connaissiez-vous cependant le Théâtre du Capitole ?
J’en avais bien sûr beaucoup entendu parler mais je n’étais jamais venue. Ce sont mes débuts pour le rôle de l’Opinion publique dans Orphée aux enfers et dans la maison Capitole.
Vous êtes mentionnée sur votre site en tant que mezzo-soprano et contralto. Est-ce à dire que votre voix est très longue ? Quel est votre répertoire à ce jour ?
Effectivement j’ai la chance d’avoir un ambitus très développé. Quant à mon répertoire, il comprend Jezibaba dans Rusalka, Farnace dans Mitridate, La Périchole et La Grande Duchesse de Gerolstein d’Offenbach, Erda dans Wagner, Souffrance dans Guercoeur de Magnard, Azucena dans IL trovatore de Verdi, etc… En concert j’ai chanté des extraits du Barbier de Séville et de Carmen.
Venons-en à cet Orphée dans lequel vous chantez l’Opinion publique. Parlez-nous de ce rôle très particulier qui ouvre d’ailleurs l’opéra sur un récitatif de présentation de son personnage?
Je suis l’autorité du Peuple sur la Terre. L’Opinion publique est dans le jugement permanent car elle soutient un certain nombre de convictions. J’aime bien ce rôle car il me fait sortir de ma zone de confort dans la mesure où elle représente une forte personnalité alors que, personnellement, je suis quelqu’un de timide.
Votre rôle est important dramatiquement mais vocalement aussi car vous intervenez à plusieurs reprises, soit en solo pour vos couplets, soit en duo avec Orphée, soit dans de multiples ensembles. Quelles sont les difficultés de ce rôle écrit tout de même dans le bas de votre tessiture ?
En terme de tessiture, le rôle ne me pose aucun problème mais il faut y faire attention car, du fait de sa longueur, il demande beaucoup d’énergie. Ceci étant je dois vous avouer que je m’amuse beaucoup.
Vous avez déjà chanté Orphée aux enfers, mais le personnage de Junon. Etes-vous familière de ce compositeur ?
C’est mon compositeur « signature » si je peux me permettre cette expression. Certes il n’est pas toujours facile à chanter mais pour prendre du plaisir avec Offenbach, il faut parfaitement connaitre ses partitions afin de ne pas se laisser piéger, éviter aussi de rester « scolaire » mais plutôt tenter de creuser le sous-texte de ses opéras, essayer d’incarner « l’esprit » Offenbach. Il faut être très attentif à la prosodie, à la diction. Autant dans les graves que dans les aigus, le public doit tout comprendre. La projection et la prononciation dans les médiums sont plus naturelles et faciles pour moi. En plus de tout cela nous avons aussi des textes parlés, énormément de mouvements, parfois il faut danser. Nous devons être dans un état de contrôle permanent sans oublier de s’amuser.
Vers quels rôles votre voix se dirige-t-elle ?
Souffrance dans Guercoeur d’Alberic Magnard, Ulrica et Azucena pour les Verdi, Erda, autant celle de L’Or du Rhin que celle de Siegfried de Wagner, pourquoi pas Carmen ?
Où faut-il aller pour vous entendre après Toulouse ?
Juste après cet Orphée je pars au Staatsoper de Hambourg pour Farnace dans Mitridate re di ponto de Mozart, puis ce sera The Wreckers au Victoria Hall à Genève, un opéra de la compositrice Ethel Smyth, sur un livret en français, créé en 1906.
Propos recueillis par Robert Pénavayre
une chronique de ClassicToulouse
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