Une nouvelle Etoile au firmament du Capitole
En cette fin d’année 2024, le Théâtre du Capitole affiche une série de représentations de ballet portant le titre de Magie Balanchine. Une belle invitation à vrai dire. Mais ce n’est pas tout. En effet, lors de ces représentations, le public toulousain pourra faire connaissance avec la nouvelle Etoile du Ballet du Capitole : Jacopo Bellussi. Ce jeune danseur nous vient tout droit de Hambourg, la tête pleine d’envies et de projets.
Rencontre
Culture 31 : Comment est née votre vocation de danseur ?
Jacopo Bellussi : Le fait du hasard. Un soir, ma tante avait pris des places pour aller voir L’Oiseau de feu de Maurice Béjart, avec une amie. Celle-ci étant indisponible au dernier moment, elle m’a emmené. J’avais 5 ans et je découvrais le Carlo Felice de Gênes. Ce fut une révélation, non pas spécialement pour la danse mais pour un lieu, le théâtre. J’ai su alors que mon univers allait être celui-là. Certes j’ai fait beaucoup de sport, du foot, du tennis, de la natation car mes parents sont très sportifs, mais je sentais au fond de moi depuis ce soir-là que les dés étaient jetés. Je ferais de la danse. La suite tient aussi de la magie du hasard. J’accompagne une amie à un spectacle de danse. Son professeur arrive à me convaincre que j’ai naturellement beaucoup de qualités pour être un danseur et me propose une leçon. Vous connaissez à présent la suite !
Vous avez fréquenté dans vos années d’apprentissage l’Académie de la Scala de Milan, puis l’Ecole du Royal Ballet de Londres. Que vous ont apporté ces deux expériences ?
J’ai passé deux ans et demi à l’Académie de la Scala de Milan. Je pense que c’est une très bonne école mais je crois que j’étais trop jeune alors pour vraiment profiter de toute la qualité de son enseignement. J’avais 11 ans. Par contre mon séjour à Londres, entre 13 et 18 ans, a été beaucoup plus riche d’acquisitions de savoirs pour moi. J’étais alors prêt pour me perfectionner.
Ensuite, ce fut Munich puis Hambourg à partir de 2012. Hambourg où vous êtes nommé Principal en 2019. Malgré votre jeune âge, c’est déjà une très belle carrière. Quel regard portez-vous sur ces années passées ?
C’est une évidence mais il faut beaucoup travailler et faire des sacrifices, tout le monde le sait. Mais il me faut aussi reconnaitre que j’ai eu beaucoup de chance. En effet, dès que je suis arrivé à Hambourg, j’ai rencontré John Neumeier. Ce chorégraphe, qui était alors Directeur de la danse à Hambourg, m’a fait immédiatement confiance et m’a donné quasiment tous les ballets de son répertoire. On dit souvent qu’une saison à Hambourg correspond à trois saisons dans les autres Compagnies de ballet tellement la programmation est foisonnante. Imaginez, 130 spectacles par an pour à peu près une vingtaine de productions différentes. C’est colossal. J’ai été nommé Principal* en dansant Oberon dans Le Songe d’une Nuit d’Eté de John Neumeier.
Après les brumes du nord européen, vous voici à Toulouse, dans la capitale de l’Occitanie, une région méditerranéenne, Toulouse que l’on compare souvent à la Toscane. Même si vous déclarez être un homme de chaleur plutôt que du froid, de la mer plutôt que de la montagne, quelle a été cette envie de changement dans une carrière qui paraissait toute tracée ?
Je savais, comme tout le monde d’ailleurs, que la saison 23/24 était la dernière pour John Neumeier à Hambourg. Clairement c’était mon mentor, une personne très importante dans ma vie. J’ai pris son départ comme un signe dans ma carrière. Si je voulais tenter autre chose, c’était le moment. Je voulais élargir mon répertoire et aborder d’autres projets que ceux liés à mon statut de danseur professionnel. Je me suis alors rapproché de Beate Vollack (ndlr : Directrice de la danse au Théâtre du Capitole de Toulouse) que je connaissais depuis mon passage à Munich. Et me voilà !
Quel est le cœur palpitant de votre répertoire aujourd’hui ?
Bien sûr il y a les ballets de John Neumeier, mais pas seulement. Ce que je recherche avant tout, ce sont les chorégraphies dans lesquelles je peux incarner quelqu’un ou quelque chose. Développer ma technique ne me suffit pas, il me faut une autre dimension, celle avec laquelle je vais entrer en osmose émotionnelle avec le public. Même si, de manière formelle, le ballet ne raconte pas une histoire, je m’en fabrique une. J’en ai besoin. Ceci étant, je reconnais que tous les styles de danse ne conviennent pas à mon tempérament. Cela ne me gêne pas car je suis persuadé que l’on ne peut pas tout bien faire. La danse n’est pas de la gymnastique, elle doit être le témoin, l’écho d’une émotion très personnelle.
Alors qu’en principe, le grade d’Etoile s’obtient dans une Compagnie longtemps fréquentée, vous arrivez au Théâtre du Capitole avec le grade suprême. Cela signifie certainement beaucoup de responsabilités de votre part…
Certainement ! A Hambourg, j’ai franchi dans la Compagnie toutes les étapes avant d’être nommé Etoile. Arriver Etoile dans une Compagnie est lourd de responsabilité car il nous appartient de donner l’exemple, l’inspiration. De toute manière, être nommé Etoile est un commencement, jamais une fin.
Parlez-nous à présent du Festival de danse de Nervi dont vous venez d’être nommé Directeur artistique à partir de 2025. C’est un peu le retour non seulement dans votre mère-patrie, l’Italie, mais également dans votre ville natale, Gênes.
Le début de l’histoire est dramatique. En 2018, après l’effondrement du Pont Morandi à Gênes, j’ai proposé à John d’emmener une partie de la Compagnie, pendant les vacances de pâques, à Gênes pour organiser un spectacle au profit des victimes de cette catastrophe. Il a bien sûr accepté. Les Génois ont, semble-t-il, beaucoup apprécié. Après le Covid j’ai organisé un autre spectacle de danse en faveur des enfants hospitalisés. Pour moi c’était bien autre chose que de danser. Le sens profond était ailleurs. Le Maire de Gênes m’a nommé Ambassadeur culturel de sa ville et m’a ensuite demandé si je ne pourrais pas relancer le Festival de Nervi, un festival de danse très ancien, dont la première manifestation remonte à 1953, et qui avait un peu disparu. Il se tient durant tout le mois de juillet, une partie dans l’amphithéâtre du Parc Nervi de Gênes, l’autre partie dans le Carlo Felice.
Vous allez danser pour la première fois avec votre nouvelle Compagnie et dans votre nouveau théâtre et devant votre nouveau public. Comment appréhendez-vous ce moment ?
Je suis heureux, honoré et aussi, je ne vous le cache pas, très impatient. Aucun public ne se ressemble. J’ignore totalement quelle va être sa réaction. Ce qu’il y a d’extraordinaire c’est aussi mon premier spectacle avec mes nouveaux partenaires. Et je peux d’ores et déjà vous dire que c’est très enrichissant personnellement.
Qu’attendez-vous de cette nouvelle expérience ?
La vivre le plus largement possible. Quand je commence quelque chose je ne me pose aucune barrière ni aucune présupposition. Je veux faire cette expérience dans la plus belle des lumières, prendre ave joie tout ce qu’elle peut m’offrir et ne rien compter de tout ce que je peux lui donner.
Propos recueillis par Robert Pénavayre
* Principal correspond dans le monde anglo-saxon au rang d’Etoile