Directeur du Théâtre des Pénitents de Montbrison dans la Loire, pendant six ans, Henri Dalem (1) est le directeur d’Odyssud Spectacles depuis le printemps 2023. Formé à l’institut d’études théâtrales de Paris III ainsi qu’au cours Florent, il a fondé la compagnie de Quat’Sous en 2002 et codirigé la compagnie Paradoxe(s) à partir de 2008. Si l’une de ses pièces est toujours jouée aujourd’hui, à 42 ans, il a décidé de mettre de côté la création. « J’ai fait de la mise en scène pendant douze ans mais je ne ferai pas de création à Odyssud », prévient Henri Dalem. « J’ai été motivé pour venir ici car on fait les choses en grand dans l’émerveillement, pour changer les regards. L’ambition autour d’Odyssud est stimulante. Mon parcours à la fois de création et de direction sera important dans les relations avec les artistes et le public dans cet équipement magnifique qui tient son rang même en période hors les murs. »
En n’oubliant jamais qu’un monde sans culture est promis à la déliquescence, en n’acceptant jamais l’exclusion ni le repli sur soi, car comme il l’a si bien dit lors de la présentation de la saison 2024-2025, désormais seul à la barre du beau paquebot culturel de Blagnac: « le spectacle vivant se nourrit d’ailleurs et d’ouvertures. » C’est pour cela, qu’en plus de la programmation proprement dite, Odyssud continuera à privilégier l’action culturelle en direction des publics et l’accompagnement des artistes régionaux.
Haut niveau de qualité artistique et diversité culturelle sont donc toujours les maîtres-mots de la saison » hors les murs » 2024/2025 avec plus de 50 spectacles différents dans une dizaine de salles partenaires à Blagnac, Toulouse, Cornebarrieu et Tournefeuille.
Que l’on pardonne au signataire de cette chronique culturelle d’évoquer d’emblée des souvenirs personnels. En effet, en attendant Henri Dalem, je suis resté un long moment songeur devant les portes du Grand Théâtre d’Odyssud qui semble sommeiller dans le souvenir de son effervescence passée et attendre avec impatience de reprendre ses croisières sur l’océan du spectacle vivant, de ce grand vaisseau dont cet homme de théâtre a pris la barre il y a un an déjà pour le passage de relais et dont c’est la première saison en son nom propre.
Mais j’ai eu une pensée émue pour les artistes que j’ai applaudis et côtoyés ici depuis plus de 35 ans, des éclats de théâtre de Philippe Noiret à Philippe Torreton (qui revient d’ailleurs en avril prochain dans la programmation) en passant par Fabrice Luchini, des tarentelles de Pino de Vittorio aux voix sacrées de Patrizia Bovi et ses amies Francoise Atlan et Fadia Tomb El-Hage, des sauts d’anges de Carolyn Carlson à ceux de la Alvin Ailey Company…
Sans oublier Grazie mille, Léo, notre concert d’hommage à Léo Ferré en octobre 1993, après la disparition de celui-ci et à la demande d’Henri Lhong le premier directeur qui connaissait mes liens privilégiés avec cet immense artiste qui a changé ma vie en m’encourageant à faire du théâtre au sein du Chêne Noir d’Avignon, avec Mama Béa Tekielski Véronique Dubuisson, René Gouzenne, Bruno Ruiz, Morice Benin, Eric Fraj etc.
Monsieur le maire de Blagnac nous a promis la réouverture de la grande salle pour la saison 2025-2026: inutile de dire que nous en acceptons l’augure avec impatience, même si pour l’instant celle-ci nous joue l’Arlésienne sans décors et sans orchestre…
Mais Henri Dalem et toute son équipe, outre toute la programmation hors les murs, travaillent d’arrache-pied pour préparer ce retour aux sources dans cette grande salle d’Odyssud presque mythique, totalement rénovée et remise à niveau techniquement.
La saison 2024-2025 est la première entièrement façonnée par celui-ci, assisté par Maya Yie pour le Festival Luluberlu et Marjolaine Paravano pour les spectacles jeune public de façon collégiale.
Henri Dalem s’est prêté de bonne grâce à notre petit questionnaire de Proust.
Quelle est la couleur que vous préférez ? Le vert (paradoxal pour un homme de théâtre !) Selon la légende, Molière serait mort sur scène en jouant « Le malade imaginaire », le 17 février 1673. Le costume qu’il aurait porté pour son rôle était de couleur verte. Depuis, cette couleur est bannie des théâtres. (NDR).
La fleur que vous préférez ? La Belle de nuit.
Votre auteur préféré ? Jules Verne.
Votre peintre préféré ? Nicolas Poussin.
Votre poète préféré ? Victor Hugo.
Quel est votre compositeur préféré ? Claudio Monteverdi.
Votre chanson française préférée ? Amsterdam.
Quel est votre héros de fiction préféré ? Roméo.
Votre héroïne de fiction ? Juliette.
Votre héros dans l’Histoire ? Jean Cavaillès (1903-1944) Philosophe, logicien et mathématicien français, il fut l’un héros de la Résistance. (NDR).
Votre héroïne dans l’Histoire ? Joséphine Baker. Une autre héroïne de la Résistance en plus d’une grande artiste et d’une femme de cœur. (NDR).
Le personnage historique que vous préférez ? La pomme de terre (rires). Je suis d’une famille d’historiens et mon grand-père m’a enseigné le rôle primordial de la pomme de terre dans l’histoire de l’humanité, ce qu’elle a apporté aux populations souffrant de la famine et aux migrations fuyant celle-ci, comme les Irlandais ou les Italiens.
La réforme que vous appréciez le plus ? La réforme goldonienne: par rapport à la commedia dell’arte, la « réforme » goldonienne est moins une réforme humaniste (substituer les « caractères » aux « types », les « mœurs » aux « situations », et faire percer l’homme sous le masque) qu’une réforme « sociale »: faire coïncider le jeu social et le jeu théâtral, et, bien plus encore… (Larousse).
Votre plat et votre boisson préférée ? Le Saint-Pierre, et le vin jaune de Château-Chalon. (d’ailleurs, ça ne va pas du tout ensemble…)
Quel serait votre plus grand malheur ? Perdre un de mes enfants.
Quel est, d’après vous, le rôle de la Culture dans notre monde ? Fréquenter les œuvres, qu’il s’agisse de celles du patrimoine ou de la création, apporte une profondeur indispensable pour exercer son jugement. Aux côtés de l’esprit critique, il faut nourrir sa sensibilité critique. Reconnaître ce qui est beau, c’est un grand pas sur le long chemin de la recherche de son propre désir.
Que peut-elle apporter à nos concitoyens ? Un espace commun pacifié pour ressentir, discuter, proposer, s’engueuler, pleurer, rire, chanter, casser, éclairer…
Quelle est la situation du spectacle vivant en France ? Inquiétante.
Et dans la Région en particulier ? Pareil.
Mieux ou plus mal qu’au siècle dernier ? Plus mal.
Quels sont vos phares en théâtre bien sûr mais aussi en musique et en danse ?
En théâtre d’abord, Giorgio Strehler (2) dont j’ai vu très jeune « Arlequin serviteur de 2 maîtres » de Carlo Goldoni en vénitien non surtitré – mais il n’y avait pas besoin de traduction – : la façon de mettre la vie sur scène, et l’attention très crue portée aux rapports sociaux, mais toujours avec une approche esthétique, cela a été une révélation
En musique, j’ai découvert Claudio Monteverdi adolescent dans l’enregistrement d’Orfeo par Gabriel Garrido et j’ai été sidéré par le son exceptionnel à la fois baroque et contemporain: cela a été ma porte d’entrée sur beaucoup d’émerveillement ultérieurs. Aujourd’hui mon plus grand plaisir c’est Beethoven. Par ailleurs, je suis toujours très sensible à l’apport de la musique répétitive à la création contemporaine, en particulier en danse avec Trisha Brown, plus tardivement avec chorégraphes les grands américains, mais elle reste mon phare dans cette discipline.
Vous êtes le premier directeur depuis la création d’Odyssud en 1988 il y a 36 ans à être issu du spectacle vivant, et ce n’est que justice tant la défense de celui-ci est votre credo, et tant qu’Odyssud restera avant tout un temple de celui-ci. Ce statut vous donne un regard neuf depuis la scène et une sensibilité plus artistique, sans dénigrer ni minorer l’apport de vos prédécesseurs tout en conservant leur éclectisme de bon aloi si apprécié par le public.
Au-delà de votre sensibilité artistique, votre expérience « vue du plateau » et votre oreille aiguisée, de l’empathie partagée avec Emmanuel Gaillard, Thierry Carlier et Henry Long, vos prédécesseurs, pour les actrices et les acteurs du spectacle vivant, qui sera primordiale dans votre rapport avec les artistes et à leurs créations, quel est votre fil rouge ?
Ma réflexion depuis plusieurs années ne me porte pas seulement sur l’aide financière à apporter aux artistes, mais je cherche aussi le point de rencontre entre le créateur et le public, le point d’articulation entre les deux: Odyssud est l’endroit idéal pour cela.
Il y a pour moi une différence essentielle entre le metteur en scène qui a un seul objectif limité dans le temps et à la dimension d’un théâtre, et le programmateur est protéiforme sur une longue durée, sur un territoire élargi, d’où la nécessité de créer un référentiel commun en s’ouvrant à d’autres générations et en leur offrant une alternative à la culture mainstream actuelle qui est formatée pour plaire à tout le monde sans jugement sur la valeur esthétique.
À titre personnel quelle est votre devise, si vous en avez une ? pas de devise, mais un vers de Racine qui m’accompagne: « Songez que je vous parle une langue étrangère. »
Et en tant que programmateur ? Je pourrai rependre celle de Jean-Michel Ribes quand il été nommé à la tête du Théâtre du Rond Point: « Je vais programmer ce que les gens ne savent pas encore qu’ils vont aimer. »
Alors que beaucoup des spectacles que vous avez programmés cette saison affichent déjà complet, quels sont vos 3 coups de cœur parmi les autres ?
D’abord celui de François Herpeux, l’homme au corps de clown-caoutchouc dans La Force de la frappe. Une bible de l’humour. On est en 1977. La Terre est au bord du gouffre. L’humanité, pas loin de l’extinction. Alors que sa carrière est au point mort et que sa vie est un sketch, Patrice, un humoriste raté reconverti dans les farces et attrapes, a une idée de génie. Il imagine un dispositif qui compilerait le meilleur des histoires potaches, gags et autres galéjades… La simplicité ascétique du comédien au-delà de sa grande technique renvoie à la quintessence du théâtre, sans les pompes: un filet de lumière, un corps, une voix. Ce sera au petit Théâtre Saint-Exupère à Blagnac du 15 au 17 octobre et c’est un spectacle tout public.
Ensuite, Ombres errantes du 3 au 5 décembre au Théâtre des Mazades à Toulouse, la rencontre entre la magie et le piano, sur la musique de François Couperin, maitre incontesté du baroque français, interprétée magnifiquement par le pianiste Iddo Bar-Shaï, et sur les ombres façonnées en direct par Philippe Beau, peut-être le plus grand ombromane de notre temps. Très accessible par le jeune public, mais avec une exigence artistique remarquable.
Enfin, Dinosaure du 12 au 13 février à l’Aria de Cornebarrieu, une évocation des dinosaures à travers la danse hip-hop révélant notre « part préhistorique » (animalité, sauvagerie), accessible aux très jeunes qui raffolent de ces extraordinaires animaux disparus.
Quelle est votre occupation préférée quand vous n’êtes pas aux commandes d’Odyssud ? L’enseignement. Du théâtre bien sûr. (NDR).
Pouvez-vous nous citer un de vos poèmes préférés ?
« On doute
La nuit
J’écoute
Tout fuit
Tout passe
L’espace
Efface
Le bruit. »
C’est la dernière strophe des Djinns, un poème de Victor Hugo, publié en août 1829 dans le recueil Les Orientales.
Propos recueillis par E.Fabre-Maigné
Pour en savoir plus :
1) Henri Dalem est metteur en scène. Il a fondé la « Compagnie de quat’sous » en 2002, et codirigé la compagnie « Paradoxe(s) » avec Paméla Ravassard.’ Il a suivi une double formation à l’Institut d’Etudes Théâtrales de Paris III et au Cours Florent, où il passe par les classes de S. Libessart, X. Florent & V. Vella (de la Comédie Française). Il a également assisté pendant un an aux cours de Daniel Mesguich au CNSAD.
Avec la Compagnie de quat’sous, il a signé « Le Campiello » de Goldoni (2003), « L’Oiseau vert » de Gozzi (2004), « Les Contes italiens » de Calvino (2005), « La Guerre » de Goldoni (2006-2007), et deux spectacles jeune public, « Pourquoi les manchots n’ont-ils pas froid aux pieds » (2008-2012) et « Quelle est la couleur du Petit Chaperon Rouge » (2010-2012). Avec « Paradoxe(s) », il a monté « Le Mot progrès dans la bouche de ma mère sonnait terriblement faux » de Matéi Visniec, et « Femmes de fermes », d’après un ouvrage de sociologie au sujet des évolutions de la condition féminine en milieu rural.
Très attaché à la littérature et au travail de la voix, il a sillonné la France pour donner des lectures théâtralisées (textes de Verne, Buzzati, Goldoni, Ronsard…). Passionné de musique, il a mis en scène son premier opéra en 2005 avec « Le Devin du village » de Rousseau. Il a collaboré avec le compositeur Benjamin Hamon & la compagnie Pocket Lyrique pour « Le Terrain vague ». Avec la Compagnie de quat’sous et le Concert Latin, il a dirigé la recréation française du « Huron », un opéra-comique oublié de Grétry et Marmontel adapté de « L’Ingénu » de Voltaire.
2) Giorgio Strehler, né le 14 août 1921 à Trieste et mort le 25 décembre 1997 à Lugano, est un comédien et metteur en scène italien fondateur du Piccolo Teatro di Milano qu’il a dirigé pendant 50 ans; il a eu une influence considérable sur le théâtre contemporain engagé. Arlequin serviteur de deux maitres, de Goldoni, eu un énorme succès populaire et tenu l’affiche pendant plus de quarante ans ! Accueilli en France 1983 à 1990, il a créé et dirigé le Théâtre de l’Europe, à l’Odéon, « première institution théâtrale européenne qu’un pays de l’Europe ait offert à l’Europe. »
3) Trisha Brown, née le 25 novembre 1936 à Aberdeen dans l’Etat de Washington aux USA et morte le 18 mars 2017 à San Antonio au Texas, est une danseuse et chorégraphe américaine. Figure importante de la danse post-moderne, elle collabore pendant plus de 30 ans avec de nombreux artistes contemporains (plasticiens, compositeurs, musiciens), au début de sa carrière hors des scènes classiques et dans un style abstrait et plus récemment dans le cadre de grandes productions institutionnelles et en utilisant des motifs qui mènent à une trame narrative émotionnelle et poétique.