« Zaccaria est pour moi le rôle le plus difficile de tout le répertoire verdien » Nicolas Courjal
En juin 2023, Nicolas Courjal revenait au Capitole après une trop longue absence. Un retour en majesté puisqu’il interprétait alors le Mefistofele d’Arrigo Boito. Auparavant, ses visites toulousaines, aussi prometteuses fussent-elles, s’étaient résumées à l’Oncle Bonze (Mme Butterfly de Giacomo Puccini – Halle aux grains – 2004) et Le Comte Lamoral (Arabella de Richard Strauss – Capitole – 2006). Christophe Ghristi l’invite à nouveau pour un nouveau challenge, interpréter le rôle du prophète-guerrier Zaccaria dans l’opéra explosif de Giuseppe Verdi, Nabucco.
Rencontre.
Classictoulouse : Troisième opéra d’un jeune homme de 29 ans, que nous annonce Nabucco ?
Nicolas Courjal : Giuseppe Verdi est à un tournant de sa carrière de compositeur, toujours sous influence du premier bel canto, avec une écriture très complexe mais avec un orchestre plus opulent que celui de Donizetti et Bellini. La partition des trois rôles principaux expose ce que sera Verdi dans quelques années mais fait toujours écho au passé. Cela peut paraître paradoxal mais Don Carlos est plus facile à chanter que Nabucco car dans cet opéra Verdi a fait la synthèse harmonieuse de son art. Mais pour l’heure ce musicien est dans l’expérimentation des tessitures. Et c’est parfois violent, je pense particulièrement au rôle d’Abigaille.
Pour la grand public, Nabucco se résume parfois au Chœur des esclaves, avec le patriotisme qui va avec. Mais la trame de cet opéra va bien plus loin, non ?
Oui, vous avez raison. Mais en même temps la richesse de cet ouvrage conjuguée à celle de la mise en scène de Stefano Poda fait que tous les champs des possibles sont ouverts à l’imagination fertile du public. Lorsque nous avons donné cette production à Lausanne, des spectateurs ont vu dans cet ouvrage le duel entre Israël et Gaza aujourd’hui. Nous ne sommes pas du tout parti là-dessus. Le metteur en scène trace le portrait d’un peuple qui soufre, d’un homme qui va faire des choix vertigineux, de la folie du pouvoir. Dans cette production et dans cette histoire d’ailleurs, il n’y a pas vraiment de méchants et de gentils. Chacun poursuit son chemin de vie comme il peut. Que le fameux Chœur des esclaves soit un hymne patriotique ne m’interpelle pas particulièrement. Par contre c’est un cri de souffrance à nul autre pareil et la mélodie qui l’accompagne est déjà du très grand Verdi.
Longtemps, les librettistes d’opéra se sont inspirés de la littérature antique, médiévale, légendaire ou romantique. Tout ce qui est de près ou de loin attaché à la Bible n’a jamais vraiment semblé les interpeller. Par contre le personnage de Moïse a frappé autant Rossini que Schoenberg et peut-être bien Verdi avec son Zaccaria. Qu’en pensez-vous ?
Je ne sais quoi vous répondre concernant Moïse directement. Par contre il est sûr que Zaccaria, sans être un prophète, est incontestablement un leader, comme Moïse semble-t-il le fut. Zaccaria guide son peuple tout comme Moïse lorsqu’il fit sortir les Hébreux d’Egypte. Zaccaria le soutient aussi, leur donne du courage. C’est ici un prêtre certes mais aussi un guerrier, un chef politique. Rien à voir dans cette production avec le vieillard chenu à longue barbe blanche que l’on voit souvent figurer ce personnage.
Si l’on examine le corpus verdien, Zaccaria est, à l’image de Philippe II, l’un des plus grands rôles de basse de ce compositeur. L’interpréter est un vrai challenge ?
C’est un sacré challenge, vous avez raison. Pour plusieurs raisons d’ailleurs. Philippe II est un vrai rôle de basse chantante, avec la tessiture qu’il convient à cette voix. Zaccaria tient plutôt de la basse barytonnante mais avec des graves abyssaux. Or l’ADN vocal du personnage est justement dans la partie grave de l’ambitus. Il faut une assise et une résonnance exemplaires dans ce registre. Le rôle est plus court que celui de Philippe II mais il se doit d’être formidablement impactant car il est la seule résistance à l’oppresseur. Sur scène il est indispensable de s’imposer physiquement autant que vocalement’.
C’est Zaccaria qui ouvre, et de quelle manière, cet opéra côté soliste avec une immense scène comprenant récitatif, cavatine et cabalette avec chœur, des parties quasi vocalisantes, un ambitus sollicité du fa aigu au sol grave. Comment s’y prépare-t-on ?
Il est impératif de chauffer sa voix en loge car, vous avez raison, ma première scène est colossale. C’est à ce moment-là d’ailleurs que j’installe aussi mon personnage dans la plénitude de sa mission. J’aime bien ce genre d’entrée en matière car, normalement, c’est le moment de la soirée où je suis le plus en forme, avec mon maximum d’énergie.
La seconde partie de cet ouvrage ne vous laisse pas beaucoup respirer avec une somptueuse prière demandant un legato à toute épreuve et vous amenant dans les abîmes de la tessiture. C’est peut-être là que la comparaison avec Moïse est la plus flagrante.
C’est une scène sublime musicalement. C’est aussi celle ou Zaccaria montre la face la plus humaine de sa personnalité. Effectivement, les Lévites portant alors les Tables de la Loi, Zaccaria fait ici un écho prononcé à Moïse.
Dans cette seconde partie se chante le célèbre concertato réunissant l’ensemble des protagonistes et le chœur. Cette page est-elle difficile à mettre en place ?
Je serais tenté de vous dire que oui, mais finalement c’est non car ce passage concertant est remarquablement écrit. Ce qui est sûr c’est qu’il faut bien le faire « sonner » dans la salle et ceci est une affaire de chef d’orchestre. Mais pour en revenir à votre question, cet ensemble est moins compliqué à mettre en place que n’importe quel concertato rossinien.
Il vous faut garder un peu de force car, si vous n’intervenez en troisième partie que sur le final, Verdi vous a réservé un fa dièse monumental pour terminer cet acte.
Ah oui, il faut garder de l’énergie car cette note n’est pas écrite pour une basse. Et en plus je suis à découvert à ce moment-là. Et justement, dans l’ensemble qui précède, Verdi a aussi écrit pour ce rôle des fa dièse… graves ! C’est vraiment un rôle hybride. Dans les autres opéras de Verdi il n’y aura plus ce genre de problème de tessiture mal définie.
Vous participez aussi au final de cet ouvrage. Comment gérez-vous cette partition, d’autant qu’elle demande dramatiquement et vocalement une grande autorité sur scène ?
C’est un contrôle de tous les instants. Il est sûr que la moindre méforme rend l’interprétation de ce rôle … problématique. D’ailleurs j’ai longtemps hésité avant de le chanter pour la première fois dans cette production à Lausanne. Pour moi c’est le rôle verdien le plus difficile car le plus engageant sur tous les plans. Mais à présent je ne regrette pas !
Quels sont vos projets après le Capitole ?
Je pars à Dallas faire Golaud, ce sera ma première scénique dans ce rôle fabuleux. Il y aura aussi le Faust de Gounod à Palerme, Louise de Charpentier à Aix en Provence, une tournée avec Jeanne au bûcher d’Honegger. Et j’ai aussi un très grand projet mozartien. Mais pour l’heure il est trop tôt pour en parler.
Propos recueillis par Robert Pénavayre
une chronique de ClassicToulouse
> Va’, pensiero, sull’ali dorate…