Thomas Dutronc : « J’aime les manouches, ils sont imperméables à la connerie ambiante »
Thomas Dutronc propose enfin un nouvel album de chansons inédites, le lumineux et fraternel « Il n’est jamais trop tard », 9 ans après le précédent « Éternel jusqu’à demain ». Une longue parenthèse qui s’explique par les nombreux projets collectifs qu’il a menés entre-temps. Il sera en concert au casino Barrière, à Toulouse, le 30 avril 2025.
Thomas Dutronc nous a donné rendez-vous à quelques mètres de sa maison corse, dans un village haut perché des environs de Calvi, avec la Méditerranée pour vaste horizon. Il arrive un brin ébouriffé, arborant lunettes de soleil très années cinquante et tee-shirt noir à l’effigie de Jimi Hendrix. Ils sont nombreux à le saluer à la terrasse du café, discrètement ou de façon tonitruante. Le patron du bar est un solide gaillard n’hésitant pas à prendre part à la conversation. Thomas Dutronc évoque un groupe dans lequel il intervient parfois de façon anonyme. « Il a trouvé le pseudonyme, moi je lui ai fourni la cagoule », rigole le bistrotier. Un homme passe et embrasse le chanteur : c’est le sommelier d’un Relais & Château du coin où les deux amis ont visiblement dégusté de belles bouteilles. Alors qu’une riche actualité exige de lui une totale concentration, Thomas Dutronc affiche plein de bonnes résolutions : il a « vraiment arrêté de fumer » et veut « perdre quelques kilos » ; il vante les produits bio et va même jusqu’à boire de l’eau. Ce qui ne l’empêchera pas, à la mi-octobre, d’être intronisé dans la confrérie des vignerons de Chablis. Il se rendra en Bourgogne avec son ami pianiste Eric Legnini, diable de musicien, sacré personnage et joyeux épicurien. Et puis Thomas Dutronc reviendra en Corse « pour (se) refaire une santé », « loin du bruit et du monde de l’été ». Avant de vivre pleinement une année 2025 vagabonde et prometteuse.
9 ans, c’est long, non, pour accoucher de nouvelles chansons ?
J’en avais quelques-unes de prêtes depuis un moment. Je n’ai pas trouvé le temps de les finaliser tellement j’étais débordé. Il y a eu l’album « Live is love », qui a suivi cet « Éternel… » qui n’a pas aussi bien marché qu’on le voulait. J’ai pensé que je m’étais peut-être un peu fourvoyé avec ce 3e disque studio. Et qu’il fallait imaginer un projet international pour me changer les idées. C’est ainsi qu’est né « Frenchy » et ses duos de standards français chantés en anglais. Le résultat a été super mais tout cela a pris beaucoup de temps. Enfin, il y a eu les albums (studio et live) et la tournée avec mon père. Sans oublier les nombreux concerts de jazz donnés avec les amis manouches. Et c’est ainsi que 9 ans ont très vite passé.
A quoi fait référence le titre de votre album, qui est aussi celui de la première chanson ?
Il recouvre plein de choses : il n’est jamais trop tard pour voyager, embellir le quotidien, découvrir de jolies choses, faire de nouvelles rencontres, rendre la vie plus belle… L’idée qui ressort le plus est celle de la fraternité, avec une pointe de mysticisme aussi.
Pourquoi apparaissez-vous de profil sur la pochette, à contre-jour, dans le soleil couchant ?
Cette idée m’est venue alors que nous étions chez mes amis vignerons du Clos Culombu, en Corse. Nous buvions l’apéritif, la lumière était magnifique. Sur la plage, des jeunes filles dansaient. Le lendemain, on les a recrutées pour le tournage du clip de « Il n’est jamais trop tard ». Telle est la magie de la Corse ! L’image de la pochette met aussi en exergue la part d’ombre qu’on a tous en nous ; le yin et le yang…le régime et l’excès.
Vous avez écrit la plupart des textes. Comment vous viennent-ils ?
Une idée, un titre apparaissent en vous. On suit cette idée qui aboutit…ou pas. Je reviens souvent sur ma copie. Pour la chanson « Il n’est jamais trop tard », j’ai rempli trois cahiers, sur une longue période. Je voulais dire quelque chose de positif sans être mièvre. Pas évident.
Votre chanson « Katmandu (tailler la route) » est une ode à la liberté, une farandole endiablée. Quel a été votre « Katmandu » à vous ?
Le tour d’Europe en train que j’ai effectué avec un copain quand j’avais 17 ans. Pendant trois semaines, on a voyagé dans le nord de l’Espagne, en Italie, en Hollande, en Belgique, à Prague… C’était un peu galère car mon pote avait une carte d’identité mais pas de passeport. On s’est fait virés plusieurs fois du train. Je me souviens d’une nuit où on s’est retrouvés sur le quai d’une gare, dans la région de Berlin, complètement largués. Ça caillait dur ; heureusement qu’on avait une bouteille d’alcool pour se réchauffer ! Cela fait des années que j’envisage d’aller en Islande. Pas de chance, il y a chaque fois une éruption. Sinon, pour se sentir loin de tout, la Corse en hiver, c’est parfait.
A la différence des nombreuses balades du disque, « Marie-Lou » s’affiche carrément rock’n’roll et ludique, comme un clin d’œil au répertoire d’un certain Jacques Dutronc…
Un peu, oui. L’album manquait de trucs marrants. Je me suis donc amusé avec des prénoms de filles pour faire mon rigolo.
Quant à la chanson « Horoscope », qui mélange mélancolie et humour, elle nous rappelle bien sûr la passion de Francoise Hardy pour l’astrologie. Y êtes-vous sensible ?
Pas vraiment. Mais force est de constater que cela marche un peu. Dans ma jeunesse, j’avais lu un des livres de ma mère sur le sujet, dans lequel il était indiqué que mon signe astral fonctionnait bien avec deux autres. Et c’était justement ceux d’un de mon grand copain et de mon amoureuse d’alors.
Plusieurs chansons évoquent des amours contrariées, des passions dans l’impasse, des histoires qui vous laissent « échec et mat » (« Ou étais-tu ? »). Il est même question d’un mariage qui ne s’est pas fait (« T’étais belle ce dimanche »). Quelle est la part d’autobiographie ?
On puise dans ses expériences, bien sûr, mais je ne raconte pas ma vie personnelle. Je ne prends pas de haut les « people » qui en font commerce même si ce n’est pas du tout mon truc. Je n’ai jamais voulu profiter de la célébrité de mes parents ni utiliser le système médiatique. J’avais envie qu’on me juge sur mes propres qualités : c’est pourquoi j’ai appris la guitare avec sérieux et que je me suis immergé avec fierté dans le monde du jazz manouche.
Que vous a-t-il apporté ?
Je me sens bien dans ce milieu très fraternel et chaleureux, imperméable à la connerie ambiante. J’y rencontre des gens qui ne sont pas dans le même moule que moi, des gens hors du temps, qui ne se préoccupent pas du dernier album de x ou y. Comme ce costaud style Tontons flingueurs, travaillant sur les marchés, qui un soir d’après concert m’a payé des coups en me parlant de tous les musiciens qu’il aimait. Derrière sa carrure se cachait un amour de bonhomme, respirant la passion pour la musique.
Vous êtes un des rares en France à passer de la chanson au jazz sans perdre la fidélité du public…
J’ai beaucoup de chance d’avoir les pieds dans les deux mondes, que des mecs cool comme Stochelo Rosenberg, Rocky Gresset ou Eric Legnini aient envie de travailler avec moi. Ce n’est pas un hasard : l’exigence et le travail ont fini par payer. Je n’ai jamais lâché le coude de la guitare.
Que représente pour vous le mot jazz ?
Ce terme ne veut rien dire. La musique d’Ellington, de Parker ou de Coltrane ne peut pas se résumer à quatre lettres. Leurs morceaux nous emportent par leur poésie et nous ouvrent des mondes. Tout est possible, rien n’est figé.
Comment définiriez vous le style musical de ce nouvel album, réalisé par votre fidèle complice Fred Jaillard ?
Il y a de jolis moments de guitare mais c’est plus proche de Mark Knopfler que du jazz. On est dans le domaine de la pop, avec un esprit de groupe que j’ai toujours défendu, qu’on soit trois, quatre ou plus à jouer sur scène ou lors des enregistrements. Ce que j’aime, c’est que la musique décolle.
Vous êtes comme un poisson dans l’eau sur scène, quel que ce soit le type de formation dans lequel vous jouez. En cela vous êtes très différent de vos parents…
C’est vrai : Françoise et Jacques n’ont jamais aimé ça. Moi, j’adore retrouver les copains dans un tour bus et aussi découvrir de jeunes musiciens. Cet été, lors d’un concert à Patrimonio, un jeune guitariste corse s’est étonné que je lui fasse la part si belle ; c’est pour moi tout à fait naturel. Je connais des tas d’artistes qui passent leur temps à faire des leçons de morale, des raisonnements politiques, alors que dans la vie ils sont colériques et payent leurs musiciens au lance-pierres. Il faut se méfier des beaux parleurs qui ne voient que leur nombril.
Comment envisagez vous la prochaine tournée, qui commencera en février 2025 et passera par Toulouse en avril ?
J’ai envie de rejouer avec mes copains des débuts comme Jérôme Ciosi ou David Chiron (qui a composé la plupart des chansons du nouvel album, NDLR) tout en retrouvant mes fidèles Rocky Gresset et Eric Lenigni. Il y aura huit musiciens sur scène dans un mélange d’excellence musicale et de franche rigolade. La vie est courte : entourons-nous de belles personnes et partageons notre bonheur d’être ensemble.
Rendrez -vous hommage à votre mère lors des concerts ?
Nous y réfléchissons. Ce qui j’aimerai faire, c’est extraire sa voix seule de quelques chansons afin qu’on l’accompagne en direct en scène.
Album « Il n’est jamais trop tard » (Tomdu/Barclay/Universal, sortie vendredi 13 septembre).
Thomas Dutronc en concert au casino Barrière à Toulouse, mercredi 30 avril 2025, à 20h30. Tarifs : de 39€ à 54,20€. Tél.0561333777.
Coups de cœur
« Mes vins corses »
« Les vins sont de plus en plus une passion pour moi. A mon âge, on ne veut plus boire n’importe quoi, on ne peut plus passer la soirée au cubi comme quand on avait 20 ans. Les meilleurs vins sont, j’en suis convaincu, meilleurs pour la santé. Pour m’en tenir à la Corse, j’aime particulièrement les domaines Clos Culombu, Antoine Arena, Yves Leccia et Alzipratu. »
« Un été avec Chet Baker »
« Tous l’été j’ai dit à mon Siri : mets-moi du Chet Baker. J’aime le trompettiste et plus encore le crooneur. On retrouve notamment ce versant sur la compilation Let’s get lost, album que ma mère aimait beaucoup. Quand j’entends But not for me, je suis comme elle, je fonds.»
« Agatha Christie en intégrale »
« Là encore, c’est grâce à maman que je dois le plaisir de relire Agatha Christie. J’ai dévoré le volume un de son intégrale. C’est très distrayant. »
« Fantastiques The Lakers »
« J’ai adoré la série The Lakers, qui représente le meilleur des productions HBO. C’est hyper bien réalisé. Les acteurs sont incroyables. Les scènes de basket sont hallucinantes. Je prends aussi beaucoup de plaisir à découvrir des classiques du cinéma américain comme, récemment, Will Hunting ou L’homme qui murmurait à l’oreille des chevaux. »