Quelques anecdotes dans le roman de Boris Razon (Ecoute, 2018) ont suffi à Jacques Audiard pour cristalliser l’histoire de ce baron de la drogue mexicain souhaitant changer de sexe. Il voulait en faire un opéra.
Finalement ce sera un film : Emilia Perez, prenant la forme d’une tragi-comédie musicale. Certainement vouée aux plus hautes récompenses.
Rita est une avocate de grand talent dans un cabinet mexicain dont les plaidoiries sont faites par des hommes. Elle est donc une tâcheronne invisible.
Invisible ? Pas tout à fait.
L’un des barons des sanglants cartels mexicains a connaissance de ses capacités et va lui proposer un deal pour le moins inattendu. Son rêve est de changer de sexe. Manitas Del Monte, cet implacable chef de gang marié, deux enfants, sait depuis toujours qu’il est une femme.
Il va donc demander à Rita, moyennant une énorme rémunération, de s’occuper de tout : chirurgie, transfert de son immense fortune et de sa famille en Suisse et bien sûr changement d’identité. Sans oublier l’indispensable fake news : il a été capturé par un gang ennemi et donc… mort. Rita n’hésite que moyennement devant cette aventure border line et va se révéler d’une redoutable efficacité.
Les années passent. Rita a repris son travail. Lors d’un dîner, elle se trouve à côté d’une femme qu’elle ne connaît pas…
De cette fiction, Jacques Audiard fait une tragédie en musique (Prix du Jury, Cannes 2024). De nombreuses scènes sont chantées et parfois dansées, montées avec une virtuosité étourdissante dans la narration. En parlant de montage, il convient ici de souligner la souplesse et la précision absolues de celui-ci.
Un modèle époustouflant.
Les quatre rôles féminins ont été récompensés par l’attribution d’un Prix d’interprétation au dernier Festival de Cannes.
Par leur justesse de ton et leur engagement ce n’est que mérité. Zoe Soldana est une Rita ambigüe, aventurière dans son âme. Selena Gomez interprète Jessi, la femme de Manitas del Monte, perdue au milieu d’un imbroglio dont elle ne comprend pas (et pour cause) l’écheveau.
Adriana Paz joue avec tendresse Epifania, l’amie de cœur (et encore plus) d’Emilia.
Mais il est vrai que toute l’attention se focalise sur la performance de Karla Sofia Gascon, véritable trans qui interprète Emilia (et Manitas). Dire qu’elle est bouleversante tient de l’euphémisme tant il est désormais impossible d’oublier son visage et son incarnation faits de sensibilité, d’émotion et de révolte.
Elle trace un portrait sans retenues aucunes d’un homme s’accomplissant dans le corps d’une femme. La musique, signée Camille Dalmais et Clément Ducol, survitamine au son des mariachis l’incroyable destin d’Emilia Perez, un personnage qui entre d’ores et déjà dans la légende du 7e art.