A la suite de la conférence de presse dévoilant la saison 24/25 du Théâtre du Capitole, nous avons rencontré Claire Roserot de Melin, Directrice générale de l’Etablissement public du Capitole – Opéra national et Orchestre national. Ses propos allant franchement à contre-sens de déclarations péremptoires affirmant que le spectacle vivant est mort, nous souhaitions en savoir davantage quant à la situation capitoline.
Réponses.
Classictoulouse : Les propos que vous avez tenus lors de la conférence de presse annonçant la saison 24/25 du Théâtre du Capitole sont sans ambigüités, la maison Capitole va bien.
Claire Roserot de Melin : Oui ! Le public est au rendez-vous. Les spectacles se jouent souvent à guichet fermé quels que soient les répertoires proposés. Ceci est très important car c’est tout simplement notre raison d’être. Le Capitole présente des saisons ambitieuses, diversifiées, de haut niveau, ouvertes à tous. Sans oublier bien sûr nos actions dans le champs social, éducatif, territorial, etc. La maison Capitole va bien car elle est remarquablement soutenue par la Métropole de Toulouse, largement notre premier partenaire. Malgré cela, comme les autres, nous sommes touchés par l’inflation, les hausses de budgets, les difficultés diverses et variées, etc. Si nous n’étions pas une belle équipe, bien soudée, très professionnelle, nous ne pourrions tenir un pareil challenge.
Une telle situation est parfaitement à l’opposé de différentes déclarations fléchant des salles, lyriques ou pas, dans notre Hexagone et stipulant haut et fort que le spectacle vivant est en perdition complète. Télérama (N° 3879 10/04/2024) titre carrément « le spectacle vivant se meurt ». Quels sont, d’après vous, les biais qui font une pareille différence ?
Il y a ce que je viens de vous dire précédemment. Mais ce n’est pas tout. Il faut prendre en compte dans cette réussite tout le travail accompli par nos prédécesseurs. Il y a un attachement du Toulousain à « son » Capitole qui est quasiment « viscéral », qui relève de son ADN. Le « terreau » toulousain vis à vis de la musique sous toutes ses formes est formidable, ce n’est pas pour rien que la ville a obtenu le label « Ville des Musiques » de l’Unesco. Je ne suis à Toulouse que depuis six ans mais je m’en suis rapidement rendue compte. C’est unique ! Les étoiles qui naissent dans les yeux des Toulousains à la seule évocation du Capitole, même s’ils n’en ont jamais franchi les portes, n’est pas le fruit seulement de notre travail. C’est le fruit de l’Histoire d’une institution qui dépasse largement les Hommes. Cet ancrage est une grande responsabilité aussi.
Pour répondre à votre question, nous nous inscrivons en faux par rapport à ces déclarations parce que nous croyons que notre société a plus que jamais besoin de lieux de Culture, et parce que nous vivons et travaillons avec des Elus parfaitement conscients de l’importance non seulement de la Culture mais plus particulièrement de l’institution capitoline. Dire que le spectacle vivant se meurt n’est pas ici d’actualité ! Il suffit de voir l’enthousiasme des spectateurs, de tous âges d’ailleurs, à la fin des représentations.
A titre d’exemple, un rapport précise que 60% des structures labellisées par le Ministère de la Culture clôturent leurs comptes 2023 en déficit. Qu’en est-il du Capitole ?
Nous clôturons 2023 à l’équilibre. En revanche, je suis bien entendu consciente et très lucide sur les difficultés de certaines institutions qui subissent non seulement les hausses que nous connaissons tous mais, en plus – et l’effet ciseau est désastreux – doivent travailler avec des subventions gelées, au mieux, mais parfois en baisse. Malgré tous les efforts de certaines maisons pour s’adapter à la conjoncture économique, la baisse des recettes est incompatible comptablement avec la hausse des charges pour viser simplement l’équilibre et préserver l’activité. Nous travaillons avec des équipes permanentes donc la charge fixe dans notre budget est importante…
Quelle est votre politique tarifaire pour la saison à venir ?
On a souhaité garder une fourchette de tarifs très large et préserver le niveau des moins élevés (8 à 10€), éviter ainsi les freins financiers pour accéder au Capitole. En parallèle, nous avons créé une nouvelle catégorie au premier balcon. Les cinq premiers rangs y sont toujours très recherchés et partent dès l’ouverture de la location. Nous avons sensiblement augmenté les places correspondantes. Elles sont passées, pour le plein tarif de cette unique zone, de 113€ aujourd’hui à 125€ la saison à venir, pour les autres zones de 113€ à 115€. A vrai dire, sur les cinq dernières années, elles ne suivent même pas l’inflation.
Pour les abonnements, les avantages sont toujours les mêmes. Ils varient entre 10% et 20% de réduction et jusqu’à 50% pour les moins de 16 ans. Les formules sont devenues aussi plus flexibles. A noter que la saison passée, 23% de notre public avaient moins de 27 ans ! Je suis persuadée que la politique tarifaire y est pour quelque chose, même si bien entendu celle-ci fonctionne car elle est adossée à une politique générale de développement du public.
Pour information, le prix moyen d’un billet au Capitole pour l’opéra ressort à 45€, un montant inférieur à celui de l’exercice 21/22. Globalement nous démarrons nos tarifs plus bas que Lyon ou Bordeaux par exemple, mais ils sont inférieurs à nous de quelques euros sur les places les plus chères.
Vous nous avez annoncé la création d’un Cercle de mécènes, autant pour l’Orchestre que pour l’Opéra, avec ceci de particulier qu’il s’adresse aux particuliers, ce qui n’est pas le cas d’Aïda.
C’est à l’exemple de la philanthropie anglo-saxonne. Mais ce n’est pas que cela. Il y a aussi cette logique de communauté, ce goût commun pour un genre, l’opéra et le ballet en l’occurrence puisque vous m’interrogez aujourd’hui sur ce domaine très précis, mais aussi pour le symphonique. Creusons l’idée si vous voulez bien. Il y a également derrière tout cela une idée fondamentale qui est celle du partage. Nous proposons ainsi à ceux qui le souhaitent de voir l’invisible d’un spectacle, ces fameuses coulisses qui font tant rêver, mais aussi se rapprocher des artistes qu’ils applaudissent à tout rompre.
N’avez-vous pas peur que l’utilisation d’une terminologie comme celle de « Carré d’or » par exemple pour les meilleures places du Premier balcon ne brouille pas l’image d’une institution qui déploie des trésors d’imagination pour s’ouvrir au plus grand nombre ainsi que votre souci d’effacer une image de l’inconscient collectif associant le Capitole à une institution bourgeoise ?
C’est une remarque importante que vous faites là. Pour nous, la diversité des publics est une recherche fondamentale non seulement dans les tranches d’âges mais également dans les catégories socio-professionnelles. A l’évidence, le public du Capitole s’est renouvelé. Et n’oublions pas que ce théâtre est un lieu de rencontres, de partage et donc un lieu de mixité. Pour ce faire, et c’est une mission sous-jacente de notre maison, il ne faut absolument pas s’interdire d’y attirer telle ou telle classe sociale spécifique. Pardon de le souligner ainsi mais dans ce formidable événement qu’est celui d’une émotion musicale, je suis persuadée que nous participons à une certaine forme de cohésion sociale.
Votre nouveau statut d’Opéra national est-il significatif quant aux équilibres économiques du Théâtre du Capitole ?
Cela a permis la montée en puissance de l’Etat dans notre subvention. Et bien sûr nous continuons de discuter afin que cette dernière poursuive sa hausse. Le vrai problème que nous avons à résoudre c’est l’absence de la Région Occitanie dans le budget du Théâtre, alors que l’Orchestre bénéficie de subsides régionaux depuis sa labellisation…
Vous êtes arrivée au Théâtre du Capitole en janvier 2019. Quel est le premier point d’étape personnel que vous faites sur les cinq années qui viennent de s’écouler ?
On est rarement les mieux placés pour évaluer les transformations ou les évolutions dont on se sent responsables. Cela c’est sûr ! Ce qui est sûr également, et c’est la première fois dans ma carrière que je ressens pareille chose, je vous l’ai dit un peu plus haut, l’institution dépasse largement les personnes qui y travaillent. Personnellement je me considère comme un passeur. Les Elus ont déposé sous ma responsabilité une maison que je transmettrai un jour à quelqu’un d’autre ! Il est de mon devoir qu’elle soit en bonne santé à ce moment-là et que, toujours dans mon domaine d’activité, j’ai su faire les bons choix avec l’équipe de direction et orienter les Elus vers les bonnes décisions. C’est dans cette optique que nous avons notamment porté une labellisation et la création d’un établissement public réunissant l’Opéra et l’Orchestre.
Dans une institution historique comme le Capitole, il faut à la fois préserver ce qui a été, ceci est une responsabilité générale, vivre avec son temps et avoir une vision du futur. C’est pour cela aussi qu’il faut être en porosité avec toute la société, se réinterroger chaque jour. Les grandes institutions qui campent sur leur piédestal ne servent à rien !
Mon souhait, car je ne peux parler qu’intuitu personae, est que cette maison soit identifiée auprès de tous comme un lieu de rencontre et d’émotions, vecteur d’unité, ouvert sur le monde. Et à ce titre, acteur indispensable de la politique culturelle de la Ville (Métropole), de la Région, une vraie locomotive pour tout un secteur et un ambassadeur national et international, outil de rayonnement et d’attractivité. Dans cette optique, nous nouons de multiples partenariats sur le champ artistique, culturel, éducatif, social…
Si vous me permettez un regard plus personnel sur ces quelques années, je suis musicienne de formation, j’ai besoin d’être inspirée par des artistes-magiciens. Ici à l’Opéra, c’est Christophe Ghristi, le Directeur artistique du Capitole, à l’Orchestre nous commençons à écrire une histoire avec Tarmo Peltokoski. J’aime accompagner leurs projets, sans rivalité aucune. Et c’est juste parfait.
Quelles sont vos aspirations pour le futur de cette institution ?
Ne jamais se reposer sur ses lauriers et tout faire pour que notre dynamique positive se poursuive ! Etre toujours plus attentifs à tous les publics, les comprendre, les réunir, les éveiller, les émouvoir, dans la mesure de nos moyens et de nos ambitions, et pour tout cela, accompagner de grands projets artistiques ! Pardonnez mon prosaïsme, mais c’est fondamental pour mener à bien ce premier point, sécuriser nos ressources humaines et financières dans un contexte compliqué… En résumé, faire en sorte que notre maison continue de fonctionner avec cette richesse artistique et culturelle, cette ouverture à tous. Regarder devant, avec confiance et humilité.
Propos recueillis par Robert Pénavayre
Un article de ClassicToulouse
> Quatre siècles nous contemplent