Du 25 au 27 avril 2024, le conte marionnettique « Tarentule » s’emparera de la scène du Théâtre du Pavé. Le spectacle suit les pas de Nona, jeune adolescente en quête de souvenirs effacés. Derrière ce récit, il y a la poésie de Mona Richard. Écriture, mise en scène, interprétation… L’artiste a brodé son fil rouge. Culture 31 a échangé avec la Toulousaine.
Culture 31 : Le personnage principal de « Tarentule » s’appelle Nona et toi Mona. Le parallèle est d’autant plus évocateur que le spectacle est une autofiction. Quelle part de ton histoire racontes-tu dans ce spectacle ?
Mona Richard : Le fait que le personnage s’appelle Nona, c’est aussi une référence mythologique aux trois Parques qui tissent les fils de vie, etc. Et il y a trois prénoms. Decima, celle qui décide. Morta, celle qui coupe. Et Nona c’est celle qui tisse et qui tient le fil. Je trouvais ça assez joli comme parallèle. Nonna, c’est également la grand-mère en italien. Comme il y a trois personnages de trois générations différentes. Il y a un peu une dramaturgie sur le fait que tous ces personnages soient une seule et même personne qui raconte une histoire. Et puis moi, par rapport à ma propre histoire, c’est un spectacle que j’ai écrit pour mes grands-parents que je n’ai jamais eu la chance de connaître. Toutes les questions de transmission m’ont toujours beaucoup intéressée. Donc c’est vraiment un spectacle très personnel qui vient parler de tout ça.
Peut-on alors parler de récit initiatique ? Car justement, Nona grandit grâce à ces souvenirs qu’elle peut finalement toucher du doigt.
Complètement. Dans la structure narrative de base d’un récit initiatique, on va avoir un élément déclencheur, un personnage qui va guider le héros et la découverte d’un autre univers pour le héros. Et il va y avoir un retour qui va faire que le héros va sortir de cette expérience transformé. Pour moi, c’est très clairement ça la structure du spectacle. C’est comme ça qu’il est construit. Puis on essaie de repartir avec quelque chose de différent à la fin du spectacle. Quelque chose qui a évolué pour ce personnage principal.
Nona cherche à en savoir plus sur son passé mais sa mère ne peut lui répondre car elle a tout oublié. La jeune fille fugue pour trouver ses propres réponses. Peut-on aussi parler de récit émancipateur ?
Oui c’est vrai, car dans le spectacle il y a aussi toute une question de rapport à la mère. J’ai interrogé la transmission entre femmes, et elle pose problème à un moment donné dans le spectacle. C’est d’ailleurs ça qui va faire que le personnage va fuguer. Il se trouve que dans les relations mère-fille, il y a des choses très intéressantes à exploiter, à raconter, et qui peuvent être violentes et pourtant pleines d’amour. La mère – on peut tout faire – elle sera toujours là pour aimer. C’est à la fois un personnage qui va être craint quand on est enfant et ado, et en même temps c’est un personnage à défier parce qu’on a besoin de s’émanciper. Puis ça reste un personnage dont on a besoin. Un pilier. Donc oui, c’est un récit assez émancipateur de ce côté là. C’est même dans l’ordre des choses, passer de petite fille à adolescente.
En parlant d’émancipation, tu fais également référence au savoir-faire du tissage que les femmes s’étaient approprié pour en faire leur forme d’écriture, quand l’art des mots était réservé aux hommes.
C’est vraiment le point névralgique du spectacle. L’analogie qu’on peut faire dans le fait d’utiliser une image pour montrer autre chose. Quand tu regardes l’origine du mot « texte » – c’est quelque chose que j’ai appris pendant mes études et qui m’a marqué – c’est la même racine latine que le mot « textile ». Une fois que tu fais le rapprochement, tu te dis que c’est une évidence. En fait, ça se vérifie par la structure d’un récit, ligne après ligne, et on va parler de fil de trame, comme on va parler de la trame d’une histoire. Et ce fait de revenir à la ligne, c’est comme suivre l’évolution d’un fil. En m’interrogeant sur la transmission féminine, j’ai beaucoup lu, et je me suis aperçue que c’était une manière de raconter que les femmes utilisaient et utilisent encore. Avec ce savoir-faire de l’aiguille vraiment intrinsèquement relié aux femmes. Je connais des garçons qui tricotent et on va leur dire : « mais t’es un homme et tu tricotes ? ». On va vraiment l’associer au féminin, et ce n’est pas pour rien.
Parce que pendant très longtemps, les femmes n’avaient pas accès au texte. Elles avaient accès au textile, mais pas au texte. Elles ne pouvaient pas tenir de discours, s’exprimer. Par exemple, dans le mythe de Pénélope, elle se réapproprie l’histoire. Elle tisse, elle détisse. En fait, elle prend le contrôle du récit avec le tissage. Et souvent, les femmes ont utilisé le tissage comme ruse. C’est le centre du spectacle et c’est une pratique qui me fait énormément de bien. Et je me suis aperçue que c’était ça que je faisais. Je racontais des histoires en tissant. En changeant les couleurs, en fonction des textures…
Autre référence mythologique reliée au tissage, Nona se retrouve guidée par un fil d’Ariane lumineux. Métaphoriquement, que représente-t-il ?
Sans spoiler, c’est le chemin qu’elle doit suivre. Ce vers quoi elle tend. C’est comme le fil d’Ariane finalement, une route qu’on te trace pour que tu trouves la sortie. Et pour moi c’était évident de le mettre dans le spectacle. D’autant plus qu’il y a des versions du mythe d’Ariane dans lesquelles ce n’est pas un fil mais une lumière. Du coup je voulais mixer les deux versions parce que j’utilise de la lumière noire donc ça rend les fils fluorescents du coup on a vraiment quelque chose qui s’illumine. Pour moi ça marque l’entrée dans un autre monde, celui de la toile d’araignée géante.
Puisqu’on en vient à la toile d’araignée, ce qu’il y a d’intéressant aussi dans ton travail sur le spectacle, c’est qu’au départ, tu es arachnophobe. Mais il semblerait que « Tarentule » ait été thérapeutique.
Complètement ! Maintenant je ne suis plus arachnophobe. J’ai toujours peur des araignées, mais ce n’est plus une phobie. Mais c’était très drôle au début. Je ne pouvais pas travailler le soir par exemple. Parce que je faisais des cauchemars de manipuler ma propre araignée. Quand je la fabriquais, que je sculptais les pattes, etc, tout le monde me disait que j’étais complètement tarée de m’imposer ça. Mais je suis persuadée que quand tu fais un premier spectacle, il faut vraiment que ce soit quelque chose qui vienne de tes tripes, quelque chose que tu as besoin de raconter.
Pour moi, c’était très important de raconter cette histoire. Que ce soit au niveau du questionnement sur mes propres origines ou de ces peurs qui me pourrissaient la vie. Les phobies, c’est souvent quelque chose dont on rigole beaucoup, mais c’est vrai qu’il y a des moments où c’est très compliqué de faire avec. En fait, j’ai un peu tout mis dans ce spectacle. Et ce n’est pas une histoire de faire sa thérapie sur scène parce que j’utilise un autre univers pour parler de tout ça. En tous cas, les sujets abordés sont des sujets très sensibles pour moi, très profonds, et sincèrement liés à mes peurs.
Pour finir, l’histoire et la mise en scène ont quelque chose de très cinématographique. Que dirais-tu d’une adaptation de « Tarentule » au cinéma, toi qui a joué dans différents films et séries ?
Oui, j’ai déjà un peu filmé quelques éléments. J’aimerais bien faire un documentaire. Parce que j’ai plein de rushs, ça fait 4 ans que je travaille sur ce spectacle. J’ai plein d’images de répétition, de journaux en vidéo, etc. Mais il faudrait que je trouve quelqu’un de volontaire pour m’aider dans tout ça. Et puis au cinéma, pourquoi pas ? J’y ai pensé et j’ai plein d’idées parce que les images qui me venaient quand j’ai commencé à écrire l’histoire étaient davantage des images sans limite de plateau. La limite du plateau, ça dépend quel théâtre tu fais, mais ça va souvent être un espace défini et les spectateurs vont se placer autour de cet espace. Et au cinéma, tu peux voir d’autres lieux. Par exemple, le fil d’Ariane, quand j’ai écrit, j’imaginais vraiment un truc qui viendrait chercher Nona à sa fenêtre et lorsqu’elle regarderait par cette fenêtre, il sortirait et tisserait tous les immeubles entre eux, les maisons, des chemins très lointains. Donc il y a des images comme ça que j’aimerais bien mettre en vidéo. Il faut que je trouve quelqu’un qui veut bien adapter mon spectacle en film ! (Rires).
Le cinéma d’animation se prêterait sûrement très bien à ces images.
J’adore la technique du stop motion. Et ça marche hyper bien avec les fils. Donc c’est un truc que j’aimerais bien faire aussi. Et puis c’est vrai que j’adore le cinéma, vraiment. Donc même dans la technique d’éclairage, le créateur lumière du spectacle, Mathys Derboule, ce n’est pas un créateur lumière de théâtre mais de cinéma. Il travaille aussi sur les plateaux de tournage. Je lui ai demandé à lui car c’est vraiment une façon de voir la lumière qui est différente, où on va travailler sur les ombres. On aime ou on aime pas. Mais en tous cas j’adore les possibilités du cinéma et j’aime bien réfléchir à comment entrecroiser le théâtre et le cinéma, qui sont deux de mes passions.
Propos recueillis par Inès Desnot
Théâtre du Pavé
du jeudi 25 au samedi 27 avril 2024
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