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Reims de Yann Moix

by Anthony del Puerto

Reims est le deuxième volume d’une tétralogie autobiographique, Au pays de l’enfance immobile. Le premier volume, Orléans, décrivait un cauchemar familial. Le second le continue, cette fois dans une école de commerce.

On ne s’y attendait pas : de Yann Moix, on avait lu deux romans, Jubilations vers le ciel et Anissa Corto – et on avait pris cette mauvaise plaisanterie pour ce qu’elle est : un prétexte à du lyrisme factice. Reims, c’est exactement le contraire : cette confession, à la fois véridique et pathétique, d’un jeune homme hanté par la haine de soi, la frustration sexuelle et le ratage, est rendue avec une force peu commune.

Yann Moix © Arnaud Meyer : Leextra : Editions Grasset
 Yann Moix ©Arnaud Meyer / Leextra / Éditions Grasset

Les frères sordides

Moix vient d’échouer aux concours des grandes écoles scientifiques ; il se retrouve donc à Sup de Co Reims. Il juge l’école médiocre ; et lui se voit en vaincu, embourbé en province alors qu’il rêvait de Paris : « Reims me fit penser à un gâteau sec. Les rues étaient désertes. Des avenues inanimées, plongées dans la fatigue, s’allongeaient à l’infini. Les avenues pleuraient. Les arbres mouraient. Les passants ressemblaient à des spectres ; les voitures roulaient sans bruit, installées dans la mort. […] Reims était conforme à sa réputation de guerre et de ruines. »

Avec quelques étudiants aussi louches, dépressifs et obsédés que lui, il forme une petite grappe putride, dont chaque grain produira du mauvais vin. Les portraits de ces cloportes ne sont pas indignes d’Otto Dix, comme ce Garabédian, bègue, trapu, augmenté d’un regard oscillant « entre celui d’un serial killer et celui d’une biche égarée ». Ou ce Gillon, qui fuit les cours, se lève quand le jour tombe, passe ses nuits à tourner en rond, à se saouler et à se masturber : « Il s’immerge[ait] dans la presse. Intoxiqué aux nouvelles, il lui fallait tout savoir à flux tendu. Son transistor était allumé jour et nuit. Il attendait les flashes d’information en trépignant, comme si le monde était une série à suspense, avec ses acteurs, ses rebondissements, ses fins heureuses, ses hoquets tragiques. » Ou ce Caillette, un radin incapable de jeter : « Ses détritus remplissaient des cartons d’emballage de lait concentré qu’il empilait le long du mur. L’odeur, dans la pièce unique, était pestilentielle. Une exhalaison de crevette morte ravageait l’atmosphère. Il conservait tout. Un antique exemplaire du Figaro se voyait aussitôt archivé, un prospectus de boîte aux lettres pieusement mis de côté au prétexte que cela servirait tantôt de “brouillon”. Caillette amassait ; il thésaurisait. Il engrangeait. »

Les Phrères simplistes

Au milieu de ces frères sordides, Yann Moix cherche de l’espoir parmi les Phrères simplistes, ceux du Grand Jeu : René Daumal, Roger Vailland, et peut-être surtout Roger Gilbert-Lecomte – qui figure en exergue : « J’étais seul comme un dieu, – à en crever de sanglots » –, ou d’autres Rémois, Caillois et Bataille. Tout n’est pas fini, donc : il reste les livres.

Il y a le rire, aussi, toujours tourné contre soi. Interrogé, dans un oral de concours, sur l’expression « Je suis », Moix disserte brillamment, pendant vingt minutes, sur l’« être » chez Heidegger : « Distinguant les deux périodes, nettement séparées par ce hiatus que constituait la Kehre, je fus lumineux, précis – dense. » Le jugement des examinateurs est sans appel : « Vous n’avez rien à nous dire sur “je suis” au sens de “suivre” ? »

Enfin, après trois ans de cette vie d’un noir de cave, voici Paris, où il n’en a pas fini avec la haine de soi…

Yann Moix ne nous avait pas convaincu comme romancier ; comme autobiographe, il nous surprend et nous émeut. Peut-être d’ailleurs excelle-t-il trop dans l’autobiographie pour réussir dans le roman. Toujours est-il qu’il a trouvé dans la première son propos, sa forme, son idéal. Que pourrait-il composer, à présent qu’il a fini sa tétralogie, qui puisse atteindre à une telle force ? Nous sommes curieux de le savoir.

Raphaëlle Dos Santos


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