Finaliste du prix Interallié, sélectionné pour le Grand Prix du roman de l’Académie française et pour le prix des Hussards, Les Petits Farceurs est le dixième livre de Louis-Henri de La Rochefoucauld.
Cette satire du milieu littéraire prend son exergue, et son sujet à défaut de son ampleur, à Illusions perdues : « Tiens, tu pourras être un grand écrivain, mais tu ne seras jamais qu’un petit farceur. »
Paul et Henri
On trouve un matin le corps sans vie de Paul Beuvron, chez lui, cité de Varenne, dans le VIIe ; il s’est probablement tué. Dans son testament, il lègue ses carnets, son journal, ses lettres à son ami, Henri d’Estissac. Sur ce schéma classique, Henri, le narrateur, revient sur ces vingt ans de complicité. Ces deux-là sont nés dans les années quatre-vingt et se sont connus en khâgne, au Centre Madeleine-Daniélou de Rueil-Malmaison. Henri est un pur Parisien bien né, Paul un petit-bourgeois de Grenoble ; le premier, dilettante, se voit plus tard en modeste pigiste, le second, bûcheur, en grand écrivain. Chacun suit sa pente : Henri, renvoyé de khâgne, sera chroniqueur dans une sorte de Technikart ; Paul, reçu premier à Normale, écrira un ambitieux Roman national, l’histoire curieuse d’un couturier immortel traversant les siècles – qui se vendra à deux cents exemplaires. Pour vivre, il devient le nègre de Patrick Rossi, un romancier à situer entre Joël Dicker et Marc Lévy. Ce travail d’écrivain fantôme devait être momentané, alimentaire – il sera définitif : Paul passera sa vie à boutiquer les livres des autres, et notamment de vedettes. Il connaîtra aussi deux grandes amours : la seconde précipitera sa fin.
Un fantasme et un drame
On lit cette satire, plaisante et scolaire, d’une traite, et ce n’est pas rien. Mais elle manque de férocité, de profondeur et de singularité : molle, elle affleure et elle recycle, certes avec savoir-faire et efficacité, des figures imposées (éditeurs roublards, écrivains dépressifs, etc.). Si cette copie sans surprise et sans génie n’a pas, des grands récits d’apprentissage et de désillusion, la complexité des intrigues et la variété des personnages, elle ne mérite pas l’opprobre, et nous éviterons d’en dire du mal.
Elle souffre surtout de son sujet. Tous ces romans qui prennent pour décor le milieu littéraire parisien pâtissent de leur caractère étroit et villageois : les écrivains de la rue des Saints-Pères vivent dans un monde qui captive surtout les écrivains de la rue du Bac. Ce fantasme est leur drame. À l’heure du digital, ils nous parlent daguerréotype. Vue de Rio, d’Aurillac ou d’Okinawa, leur littérature paraît bien provinciale. En revanche, elle mérite un prix, sinon, à quoi serviraient les cafés, à Paris – on n’y va quand même pas pour son plaisir… L’auteur a déjà reçu ceux de Lipp, des Deux-Magots et du Meurice ; il lui reste ceux du Flore, de La Closerie et du Procope – ça devrait le conduire jusqu’au Quai Conti.
Les Petits Farceurs • Robert Laffont