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Manuel d’exil de Velibor Čolić

by Anthony del Puerto

Alors que l’on pourra découvrir son très beau nouveau livre, Guerre et pluie (Gallimard), le 1er février, qui retrace son expérience de combattant (et de déserteur) en Bosnie en 1992, Velibor Čolić évoquait déjà une part de cette période dans le non moins cocasse et émouvant Manuel d’exil sorti en 2016.

Si les mots « migrants », « exilés » ou « réfugiés », usés jusqu’à la corde par les flux médiatiques, nous sont devenus familiers jusqu’à l’indifférence, Le premier mérite de Manuel d’exil est de donner corps et chair à l’une de ces destinées et de le faire sans misérabilisme ni pathos. Et avec même l’élégance suprême d’habiller la tragédie d’humour, comme en témoigne le sous-titre du livre : « Comment réussir son exil en trente-cinq leçons ».

Velibor Čolić © C. Hélie / Gallimard
Velibor Čolić © C. Hélie / Gallimard

Pour Velibor Čolić, né en 1964 en Bosnie, la première étape de l’exil est à Rennes, à la fin de l’été 1992. Enrôlé dans l’armée bosniaque, ce soldat malgré lui – qui prenait soin de tirer vers le ciel durant les combats pour être sûr de ne tuer personne – a déserté et doit maintenant expliquer à des agents de l’administration pourquoi lui, qui se retrouva « enfermé avec trois mille autres hommes, des musulmans bosniaques, des Serbes et quelques « traitres » croates comme moi dans un stade à Slavonski Brod, une ville croate devenue soudainement une frontière », demande l’asile politique à la France.

Sur les pas de Čolić, on découvre une humanité perdue « entre les diverses administrations et les frontières, entre le vrai monde et ce sous-monde des citoyens de seconde classe, sans papiers, sans visage et sans espoir ». En attendant une hypothétique régularisation, il faut tuer le temps, marcher dans les rues, aller au cinéma en choisissant les films les plus longs afin de pouvoir dormir plus longtemps au chaud… « Je m’habille chez Abbé & Pierre, je suis PDF (plusieurs domiciles fixes) ou QDF (quelques domiciles fixes), j’ai tout le temps faim et froid, je ne parle pas bien le français, dans mon pays c’est encore la guerre, mais il me semble que je suis toujours vivant », note alors le jeune homme de vingt-huit ans.

Entre l’Est et l’Ouest

Puis, sa situation s’améliore. Un austère studio prend des airs de palace. Voici Strasbourg, Paris, l’exilé écrit, retient l’attention d’un éditeur qui lui prodigue de judicieux conseils : « Pour le prochain livre, il faut ajouter encore plus de massacres de civils. Ça marche toujours très fort, les civils, les vieillards, les femmes et les enfants qui se font massacrer… » Notre vagabond céleste devient écrivain en résidence. Voici le temps des tournées de promotion à travers l’Hexagone et des débats sur la situation en ex-Yougoslavie, ce qui nous vaut une typologie hilarante du « grand philosophe » à la française. Certains sont encombrés de livres et de citations, d’autres promènent leur chemise blanche et leur autosatisfaction. Parfois, le rire se fige : « Je suis fier et triste à la fois. Fier parce qu’un grand philosophe s’intéresse à moi et à mon petit livre ; triste parce que mon pays est très à la mode. Les grands esprits de notre époque et les militaires, les politiciens et les politicards, les humanitaires et les gourous – tout le monde s’intéresse, se mêle au destin de mon pauvre pays martyrisé. »

Velibor Čolić prend la route pour Budapest, Milan, Venise ou Prague avec les fantômes des Balkans au-dessus de ses épaules : « j’ai l’impression que je suis né sur la route et que je voyage depuis, accompagné par mes frères slaves. Que nous dansons, damnés et fous, à la lisière entre l’Est et l’Ouest en portant telle une croix nos guerres saintes, toute la misère du monde et nos imprononçables noms. » Les écrivains (Kerouac, Zweig, Mann, Henry Miller, Primo Levi, Celan…) sont les plus fidèles compagnons de cet homme errant se découvrant une nouvelle géographie, une nouvelle identité : « Je n’ai plus de pays mais parfois je pense que j’ai une patrie. » Et son nom est littérature.

Christian Authier

Un livre pour le week-end


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Manuel d’exil – Gallimard

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