Mythologie infernale d’un tournage
Le film dans le film est un procédé vieux… comme le cinéma. Le procédé est-il usé jusqu’à la corde ? Le dernier opus de Cédric Kahn nous prouve que non. Il nous embarque sur un train d’enfer pour un tournage qui, à plus d’une reprise, frôle la destinée d’un célèbre Radeau illustré par Géricault… Carrément jouissif !
Simon (Denis Podalydès exemplaire !) démarre le tournage de son dernier film. C’est une fiction montrant les heurs et malheurs d’une usine qui va être déployée en Pologne et donc fermer sur son site historique de cette contrée bien française. Les employés se rebellent et, sous la houlette de leur meneur syndical Alain (Jonathan Cohen en mode surchauffe…), pensent monter une SCOP. Le tournage se poursuit alors qu’en coulisse, Marquez (Xavier Beauvois inénarrable), l’un des producteurs, voit les autres financiers exiger un changement de scénario afin d’attirer davantage de public. Inébranlable, Simon refuse, brandissant la liberté de création.
Mais bientôt, alors que le tournage suit son cours, l’argent finit par manquer.
Et la fiction industrielle rejoint la réalité économique du film. Les caisses sont vides. Le grand capital a frappé. Que faire ? Continuer dans le genre bénévolat ou bien arrêter?
Entre temps, une improvisation malheureuse de l’actrice principale jouant le rôle de Nadia (Souheila Yacoub fascinante) va faire péter les plombs d’Alain, tout à coup privé des sunlights. Au milieu de ce maelstrom, Joseph, un jeune figurant fou de cinéma, se voit confier une caméra afin de tourner le making of de ce qui s’annonce comme une catastrophe. Les yeux plein d’étoiles, Joseph devient le témoin d’un biotope complétement déjanté dans lequel les égos s’affrontent en permanence. Tous les thèmes possibles imaginables sont de la revue dans cette comédie un brin douce-amère qui ne reflète heureusement pas la généralité des conditions de tournages. Mais tout de même… A l’évidence, elle illustre les propos du cinéaste Costa-Gavras : un film ne demande qu’à ne pas se faire.
On rit jaune aux mésaventures de cette équipe. Mais on retiendra, et ça c’est la magie du cinéma, la prestation flamboyante de Stefan Crepon, Joseph à l’enthousiasme naïf mais à la passion chevillée au corps. Il écrase étrangement le film d’une présence aussi discrète que magnétique. L’exploit est d’autant plus brillant que le scénario le laisse dans l’ombre alors que l’histoire finit par conjuguer la fiction au réel avec une virtuosité d’une formidable ambiguïté.
La première pépite de 2024 !