L’écrivain Simon Perse contrarie son insomnie chronique à coups de médicaments et psychotropes. Au bout de quatre heures de sommeil chimique, les réveils sont cotonneux et les petits matins difficiles.
Et si la solution consistait à accepter cet état et à ne plus dormir du tout ? Il s’agirait simplement de remplacer les somnifères lourds par des excitants… Au-delà de cette particularité, Simon est un homme ordinaire, l’archétype de celui qu’il ne voulait pas devenir. Lui qui avait pour modèles Rimbaud et Nietzsche a quitté sa femme et leurs deux jeunes enfants, se confie à un psy qui est toujours d’accord. Seule l’écriture donne un semblant de sens à son existence. Malgré tout, il doit se rendre à l’évidence, son grand roman l’attend. Le sujet du livre ? L’histoire d’un homme qui ne veut pas dormir, bien sûr.
On reconnaît dans le point de départ du Rêve de l’homme lucide publié en 2012 l’art et la manière de Philippe Ségur : un mélange de réalisme, voire de naturalisme, et de goût pour une fantaisie lorgnant du côté de la fable. Ainsi, son héros, sorte de double de l’auteur, porte un regard sans concessions sur « le grand projet de la Modernité : la création d’une énorme fabrique de vide ». Simon Perse n’est pas dupe de notre société des machines dont l’essence est de nous vendre « téléphones, écrans plats, jeux, gadgets, toujours plus nécessaires à votre visibilité sociale dans un univers où, à force de communiquer avec tous, vous ne parlez plus à personne, vous égosillant dans des machines sans plus savoir ce qu’est l’humain. »
La vie : une maladie et une fiction
Mais Le rêve de l’homme lucide est aussi un récit drolatique où le cocasse des situations et des dialogues crépite. Le merveilleux s’invite à travers les hallucinations de cet homme qui ne dort plus et qui retrouve toujours dans ses voyages dans le temps le visage d’une femme dont il tombe amoureux. D’ailleurs, « la femme de ses vies » finira par s’incarner réellement sous l’allure d’une gracieuse de vingt-deux ans. Fluide et captivant, le roman délivre des sentences aux airs d’aphorismes : « La vie ? Une maladie chronique dont nul ne réchappait et dont il était miraculeux de pouvoir tenir la chronique. » ; « A la guerre comme en politique, c’est un fait éprouvé qu’il faut toujours au moins deux crétins convaincus que l’autre a tort pour que continue la partie. »
Nos vies sont des fictions, nous chuchote ce conte métaphysique et ludique autour d’une quête d’identité dans un monde réglé par la logique de la standardisation et du remplacement, où tout est devenu interchangeable, où tout (paysages, sentiments, êtres, pays…) est promis à l’obsolescence programmée. Pour résister à cela, il faut se placer du côté du roman, c’est-à-dire de la vie. Le rêve de l’homme lucide plaira autant aux lecteurs de Philip Roth que de Marcel Aymé, de Guy Debord que d’Hermann Hesse, de Jack Kerouac que de Georges Bernanos. Cela fait du monde ? Tant mieux.
Le rêve de l’homme lucide – Buchet Chastel