Walden Voices, l’étrange polyphonie électroacoustique
Voici une réalisation artistique d’une extrême originalité menée avec talent par un ensemble d’institutions essentiellement enracinées dans la proximité régionale. A l’initiative de Joël Suhubiette, le fondateur et directeur artistique du Chœur de chambre Les éléments, une œuvre musicale audacieuse, bien ancrée dans son époque, voit le jour.
Les circonstances de cette création sont nées de la désignation, en 2019 par le ministère de la Culture, de l’ensemble vocal Les éléments comme Centre d’Art Vocal pour la Région Occitanie. Parmi les compositeurs invités en résidence au sein de cette nouvelle structure, le choix de Guillaume Hermen a été motivé par la qualité de son écriture, sa connaissance de l’électroacoustique et pour ses expériences de créations impliquant le jeune public. Parmi les institutions concernées par ce projet novateur, il faut mentionner notamment le studio Eole, toujours en pointe sur les musiques actuelles et qui publie cet album, Le Parvis, scène nationale Tarbes Pyrénées, Odyssud Blagnac ainsi que les conservatoires de Montpellier et de Blagnac.
Le choix particulier de la structure de l’œuvre opéré par Guillaume Hermen s’est porté sur l’écriture d’une bande pré-élaborée à laquelle se superposent les parties vocales pour deux solistes issues du Chœur Les éléments, la soprano Cécile Dibon-Lafarge et la mezzo-soprano Corinne Bahuaud. Une telle œuvre polyphonique dépend en grande partie du contenu de la bande elle-même. Il a été décidé d’y enregistrer plusieurs sources musicales captées dans des écoles, des conservatoires, des chorales de villes et villages d’Occitanie. Comme support littéraire d’une telle entreprise, Guillaume Hermen a choisi l’œuvre du philosophe, naturaliste et poète américain Henry David Thoreau (1817-1862). Son œuvre majeure, “Walden ou la vie dans les bois” (“Walden or Life in the Woods”, 1854), constitue ainsi la trame de la structure musicale de la pièce. Cette réflexion du philosophe sur l’économie, la nature et la vie simple menée à l’écart de la société a inspiré au compositeur une sorte de méditation en huit parties reprenant quelques-uns des dix-huit chapitres du récit de Thoreau.
Le premier volet “Economy” s’ouvre sur un murmure évocateur d’une confidence. Un échange entre les voix solistes occupe la deuxième étape de ce voyage intérieur, “Where I Lived, and What I Lived For” (Où je vécus, et ce pour quoi je vécus), alors que la troisième révèle une pluralité vocale sur la tenue immuable d’un accord. Les jeux effervescents de voix d’enfants qui caractérisent le quatrième épisode, “Sounds” (Sons), sont curieusement suivis d’un silence interrogateur, alors que le cinquième volet, “Solitude”, est logiquement confié à une voix solo a cappella. Les deux voix solistes en duo habitent l’étrange sixième section intitulée “Visitors” (Visiteurs) que prolonge un autre long silence. La septième partie, “The Bean-Field” (Le champ de haricots), reprend un élément de la séquences initiale des murmures qui évoquent cette fois une plainte modulée par une série impressionnante de crescendos et de decrescendos. Enfin, le huitième et dernière épisode, “The Village” (Le Village), est le seul qui s’ouvre sur le texte anglais de Thoreau très clairement énoncé et immédiatement traduit en français. Un texte explicite dénonçant un gouvernement qui soutient l’esclavage. Un choral d’enfants d’une touchante fraîcheur conduit irrémédiablement au silence.
Saluons l’initiative du Chœur de chambre Les éléments et de son directeur artistique Joël Suhubiette, mais également l’imagination du compositeur Guillaume Hermen. Cette convergence originale de choix artistique a conduit à imaginer un répertoire nouveau bien dans sa contemporanéité.